Turakeye – L’aurore de nos vies

Partie 6 : L’adieu impossible au Rwanda

Avant-propos

Ceci est la partie 6 de mon témoignage, c’est mon Ribara Uwariraye (la nuit ne peut être racontée que par celui qui a veillé). Voici les liens vers les premières parties si vous souhaitez en prendre connaissance.

  1. Moi et l’Histoire de mon pays
  2. Les images mi floues
  3. Les jours sombres
  4. Les héros ordinaires
  5. Une vie de déplacés

La vie à Cyangugu : anecdotes avec les militaires français.

Nous vivions près d’un campement de militaires français situé près de l’aéroport de Kamembe à Cyangugu, nous allions tous les jours chercher l’eau potable dans ce campement. Il s’y se trouvaient des jeunes filles Tutsi qui étaient sous la protection de l’armée française, elles paraissent heureuses, avaient à manger…le contraste avec notre condition, cela peut paraitre bizarre nous les envions.
De temps en temps les militaires français nous interdisaient de venir chercher l’eau dans leur camp. Dans ce cas il fallait se rendre dans la ville de Cyangugu à la recherche d’une autre source d’eau potable. Dans une situation de guerre, l’eau potable devient une denrée rare et beaucoup ont attrapé la dysenterie par manque de cette denrée.


Un jour nous étions un groupe d’une dizaine d’enfants et allait chercher l’eau. J’avais observé que depuis le matin les militaires réprimandaient tous ceux qui alliaient chercher l’eau dans leur camp. Je l’ai indiqué à mes camarades qui ne m’ont pas écoutée. Je les ai laissé partir tenter leur chance et j’ai emprunté un sentier qui menait vers le centre-ville de Cyangugu. Comme je le pensais les militaires n’ont pas apprécié la venue de mes camarades et un militaire m’a appelée. Amusée, j’espérais qu’il allait faire une exception et me laisser aller chercher de l’eau dans le campement j’ai répondu à son appel. J’avais quand même un peu peur lorsque je me suis approché de lui, il a sorti un billet de 1000 ou 500 Franc zaïrois de l’époque et me l’a donné pour me récompenser d’avoir obéi. Il m’a alors dit d’aller m’acheter une montre. J’étais super contente, à l’époque 500 franc rwandais était beaucoup d’argent alors je croyais que 500 ou 1000 franc zaïrois avaient la même valeur. Je suis rentrée chez moi, ma mère qui vivait déjà à Bukavu était de passage et je lui ai montré le billet. Elle m’a alors expliquée que le billet ne valait pas grand-chose qu’il avait la valeur d’un dollar américain ! Elle m’a pris le billet. Plusieurs mois plus tard lorsque nous vivions à Bukavu elle m’a donné en franc zaïrois l’équivalent d’un dollar américain et je me suis acheté ma première montre !
La dernière anecdote avec ces militaires est la ration alimentaire qu’ils nous ont donnés lorsque nous quittions le Rwanda vers le Zaïre à Bukavu. Sur le chemin elle a été notre déjeuner et nous l’avons partagée à plusieurs.


Kigali ou Bukavu ?

Nous sommes restés plusieurs semaines à Cyangugu, certainement plus d’un mois. Nous y étions lorsque le gouvernement de l’unité national a été mis en place. C’était une bonne nouvelle car le FPR représentait l’espoir de l’instauration de la démocratie au Rwanda. La composition du nouveau gouvernement affichait la diversité et le multipartisme tels que négociés à Arusha. De l’autre côté nous ne voulions pas suivre les réfugies car il y avait parmi eux ceux qui avaient participé au génocide et en particulier avaient failli nous tuer à plusieurs reprises, de plus nous ne voulions pas quitter notre pays. Choisir entre aller à Bukavu ou retourner à Kigali était un long débat que les adultes menaient. Nous campions près du lac Kivu et avons vue sur La Botte, quartier huppé de Bukavu qui brillait la nuit, à titre personnel je rêvais d’aller à Bukavu surtout que mes dernières images de Kigali étaient celles d’une ville ruinée ou les uns tuaient les autres.

La Botte à Bukavu

Les parents hésitaient sur le choix de la direction à prendre. Plusieurs familles ont commencé à retourner à Kigali, un beau jour plusieurs familles, nos voisins à Cyangugu, sont montées dans une camionnette pour retourner à Kigali, la suite de ce qui est arrivé à cette famille est racontée dans ce témoignage : Rwanda : « Famille Samvura, « 25 ans après, nos plaies restent ouvertes » ». Nous avons appris la mauvaise nouvelle et mes parents ont décidé que nous allions aller à Bukavu. En effet selon leur raisonnement nous avions appris à survivre aux Interahamwe mais nous ne savions pas comment étaient les Inkotanyi, nous avions plus de chance de survivre en devenant des réfugies.

Rwanda, un adieu manqué !

Nous avons quitté Cyangugu le même jour que les militaires français, je ne me souviens pas de la date exacte mais à priori c’est le 21 aout 1994. Les militaires français nous avaient prévenus que passer leur départ nous serions livrés aux nouvelles autorités rwandaises. Un refugié est une personne qui vit avec beaucoup d’espoir nous pensions partir pour quelques mois seulement, le temps que la sécurité se rétablisse dans le pays. Nous sommes arrivés dans la ville de Bukavu dont les rues étaient remplies de beaucoup de réfugiés rwandais. Nous nous sommes installés dans l’école d’Ibanda avec les autres réfugiés. Nous étions en paix (absence des tirs), nous étions bien lotis : installés dans une salle de classe alors que beaucoup de gens dormaient dehors. Les conditions sanitaires n’étaient pas au top. Nous avions toujours notre sac de riz et un peu d’haricots. Nous mangions toujours une fois par jour et le repas consistait à une part de riz et une sauce d’haricots ! Un réfugié est une personne qui sait prévoir les jours difficiles. Dans la mesure où nous n’avions pas beaucoup d’haricots nous cuisinions une petite part, vraiment petite, nous en faisions de la purée et on remplissait la casserole avec de l’eau, on salait (on avait beaucoup de sel !) pour nous c’était un plat d’haricots.Avec l’approche de la rentrée scolaire, les autorités zaïroises ont décidé de déménager les réfugies dans des vrais camps des réfugiés aménagés et en dehors de la ville. Ma mère avait entre temps trouvé un travail à Bukavu, un ami zaïrois de mes parents, qu’ils connaissaient au Rwanda, nous a offert de nous héberger chez lui. Pendant que les autres si dirigeaient vers les camps de réfugiés, nous nous sommes installés à Bukavu, sur le flanc de la petite colline située en face du cimetière de Bukavu.

Alice Mutikeys

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