Turakeye – L’aurore de nos vies

Partie 2 : Les images mi floues

C’est  une histoire avec un petit h, l’histoire d’une fille ordinaire du Rwanda.  

Le plan d’une vie

Passés ce tout  premier 10 décembre,  j’ai vécu une enfance calme, une vie ordinaire et normale. Je suis réputée pour avoir été un enfant au calme inquiétant.  J’ai des beaux souvenirs de mon enfance. Il y a ces moments passés à jouer seule ou avec mes cousins, à faire la danse traditionnelle seule dès mes 4ans, il y a aussi celui de la deuxième année de l’école primaire, une année où la maîtresse et mes camarades m’allaient et je me sentais bien. Sans surprise je rentrais avec des notes scolaires proches des 100%. Nous sommes en 1989. L’année suivante, en y repensant cette année scolaire (1990-1991) coïncide avec le début de la guerre au Rwanda,  j’ai été malade pendant deux trimestres. Avec mes parents nous avons usés les médecines modernes et nous nous sommés tournés vers les médecines traditionnelles. On disait que j’avais été empoisonnée, je me souviens d’un jour où nous étions dans la voiture en chemin vers un médecin traditionnel et ma peau ressemblait à celle d’une peau de banane (la banane poyo pour ceux qui connaissent, une couleur un  peu rouge).  Heureusement sans crier gare un jour j’étais guérie, la maladie était partie d’elle-même tout en laissant quelques séquelles. J’ai eu des difficultés à retourner à l’école,  je m’étais habituée à être parmi les meilleurs de ma classe, je me contentais par la suite à être parmi les derniers de la classe. L’envie d’apprendre était partie. Aussi long que peut être une nuit, l’aurore finit par arriver, en cinquième année primaire j’avais retrouvé un niveau scolaire acceptable à l’école. En sixième année, j’avais commencé à taquiner les premières de la classe. L’année de la sixième année, je devais passer l’examen officiel pour passer à l’école secondaire. L’enjeu n’était pas de réussir cet examen mais de finir première de ma commune voire de ma préfecture. C’est avec assiduité que je poursuivais cet objectif. Mon avenir était tout tracé, il était prévu que je fasse des études d’économie au Lycée Notre Dame des Cîteaux et pourquoi pas après faire les études universitaires en Europe ou aux Etats-Unis….. Le plan était clair.

La guerre s’invite…

01 octobre 1990, le Rwanda est attaqué. Une image reste gravée dans ma mémoire : mes parents sont assis au salon, entourés des invités dont mon oncle et sa femme, tout le monde entoure sa femme, elle vient de sortir de prison. Je n’ai plus la notion des dates, mais c’était quelques jours après la nuit du 04 octobre 1990, pendant laquelle  il y a eu beaucoup des tirs dans la ville de Kigali.  À la suite de ces tirs, les autorités rwandaises de l’époque ont arrêté des nombreux civils innocents en disant qu’ils étaient Ibyitso : les complices du FPR.

Une autre image qui reste dans ma mémoire est celle des enfants et leurs mamans qui parcourent les maisons de Kigali en demandant de l’aide. « Mwadufungiriye ? – pouvez-vous nous donner à manger ? ».  Ce sont les déplacés de la guerre. Après cela on peut faire un bond en juin 1991, sous la pression de la France, le multipartisme est arrivé au Rwanda.  Ma famille était sympathisante d’un parti politique mais est resté apolitique en s’inscrivant dans aucun parti, notamment elle a décliné une invitation pour rejoindre le MRND. Quelques mois plus tard, le dimanche 15 novembre 1992 le président de l’époque a prononcé un discours dans un meeting du MRND à Ruhengeri, ce discours semble ne pas faire un appel à la haine,  même si le Premier Ministre de l’époque a souligné « le double langage » du président sur les accords d’Arusha de Paix. Le mystère pour moi est de savoir si cette phrase « Au moment opportun, je vous enverrai un message. Je demanderai aux Interahamwe de m’accompagner. On m’a dit que lors de ma campagne je me ferai accompagner de mes militaires pour qu’ils fassent ma campagne. Y-a-t-il un problème s’ils le font » contient un double langage, il a été un appel ou une sorte de feu vert pour les Interahamwe. À part si cela a été une coïncidence, au lendemain de cette phrase, ou dans la même nuit, les Interahamwe de ma commune natale s’en sont pris à la population. Mes souvenirs sont vagues sur ce qui s’est passé, mais je me souviens que la maison de mon grand-père a été brulée, et à la suite, nous ne pouvions plus y aller en sécurité. C’est fut la première attaque directe à ma famille.

Un autre évènement s’est passé en février 1994, Felicien Gatabazi et Martin Bucyana sont assassinés respectivement le 21 et le 22 février 1994.  Il s’en est suivi des manifestations violentes qui opposaient les jeunesses des partis politiques. Dans mon quartier les personnes qui composaient ces jeunesses sont les « Abakarani » – les hommes de rue, qui avaient quitté leurs villages pour venir en ville. Ils gagnaient leurs vies en aidant les habitants du quartier à transporter les charges lourdes (les courses, un déménagement…) leur situation financières était précaire et une grande majorité d’entre eux n’avait pas fait des études. Dans mon quartier à chaque manifestation ils s’affrontaient violement.  Quand nous nous sommes réveillés ce matin du 22 février, on s’est préparé pour aller à l’école. Depuis que la guerre avait commencé nous allions à l’école par bus scolaire pour plus de sécurité. Nous avions la consigne de ne pas y aller à pieds. Régulièrement les journées des manifestations les bus arrivaient en retard ou ne roulaient pas et j’avais pris l’habitude, avec une camarade de classe, de forcer en y allant à pieds pour ne pas louper une journée d’école alors que nous étions dans un année d’examen. C’est ainsi que nous avons pris le chemin à pieds, heureusement seules, en laissant nos petits frères et sœurs à l’arrêt de bus. Sur le chemin de l’école nous sommes arrivées à un croisement d’une petite ruelle secondaire et une route appelée « Kwa Mutwe » chez Mutwe. C’est un endroit très célèbre pour les habitants du coin car à côté de cette route il y avait un cinéma : Kwa Mayaka. A ce croisement nous nous sommes retrouvées au milieu d’une manifestation, les jeunesses des partis s’affrontaient.  Quelques minutes plus tard, un des jeunes m’a reconnue, plus précisément m’a identifiée en disant : « c’est la fille de sous-préfet ».  Mon père avait été respectivement sous-préfet à Kibuye et à Kigali dans les années 1980 et était appelé dans le voisinage sous-préfet.  Ce milicien tenait un long bâton et va le tendre pour me frapper, j’ai fait marche arrière en courant et Diane, ma camarade m’a suivie. Nos tailles nous ont aidé à se faufiler dans la foule et le semer un peu et nous avons repris la petite ruelle secondaire. Il nous a poursuivi et une femme qui était arrêtée devant le portail de sa maison nous a fait signer d’entrer.  Si je ne me souviens plus le nom, ni le visage de ce jeune, ni ne saurai jamais qu’est-ce qu’il reprochait à mon père, je me souviens précisément du geste de cette dame et de la maison, une belle maison aux couleurs rouges. Nous sommes restées arrêtées dans cette cour pendant 10 minutes. Après nous sommes rentrées à la maison et avons appris que les écoles étaient restés fermées ce jour-là. Les manifestations violentes étaient aussi arrivées dans notre rue et nous nous sommes mis à l’abri chez nous. Pour la petite histoire, j’ai été punie ce jour-là.  Quelques années plus tard quand je me suis renseignée pour savoir ce que Diane était devenue, on m’a racontée que toute sa famille et elle avait été tuée pendant le génocide.  Cette journée-là reste grave dans ma mémoire aussi, c’est fut le premier contact avec une menace directe et la première rencontre avec ces Rwandais ordinaires qui savent poser les bons actes. Je parle de la femme qui nous a mis à l’abri.

Alice Mutikeys

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