Le chemin de croix d’Aphrodis Matuje porté disparu pour la 3ème fois au Rwanda – partie 1

Ce lundi 30 mai 2022, un autre appel à l’aide était lancé signalant la disparition forcée d’Aphrodis Matuje. Ce dernier a quitté son domicile jeudi le 26 mai 2022, il allait voir une personne à Gikondo, un quartier de Kigali et plus personne n’a eu de ses nouvelles. À la date du 30 mai, ses téléphones portables fonctionnaient mais ce sont des inconnus qui y répondaient sans pouvoir éclairer la famille sur le devenir de M Matuje. Ses proches pensent qu’il a été enlevé par les autorités du Rwanda comme pour les deux précédentes fois.

Le 06 avril 2022 Aphrodis Matuje avait raconté au micro d’Umurabyo TV le parcours semé d’embûches de sa vie et ce qui l’a poussé à s’engager pour son pays.

Matuje Aphrodis est né en 1984, dans le secteur Nkanka du district de Rusizi. Il est père de deux enfants. Son nom a circulé dans les médias lors de son premier enlèvement en 2018, mais en réalité son calvaire avait commencé 7 auparavant lorsqu’il s’apprêtait à défendre son mémoire afin d’être gradué à l’Institut de l’Education de Kigali (KIE).

Avant 2007, Matuje était scolarisé au petit séminariste au Petit Séminaire St Aloys de Cyangugu. Il se souvient de plusieurs scènes douloureuses dont il a eu expérience lors et après le génocide de 1994. « L’histoire qui m’a touché le plus fort dans la vie est celle que j’ai vécue lors du génocide de 1994. J’avais 10 ans. Je ne comprends pas comment les gens qui cohabitait pacifiquement se sont levés un jour et se sont mis à tuer leurs semblables, sous prétexte que l’avion du président avait été écrasé », déclare-t-il.

Jeune il a vu des actes barbares pendant et après le Génocide

Matuje ne comprend pas l’animosité qui consiste à tuer les innocents qui partageaient la misère. Normalement, sa région d’origine était marginalisée, donc il n’y avait aucune raison de s’entretuer. « Le concept du génocide a fait de moi-même un révolutionnaire, partisan de la non-violence active et de la paix », continue-t-il.

Dans son témoignage sur sa vie, Matuje se souvient des moments qui l’ont marqué, il déplore que le droit le plus précieux celui de la vie, a été et continue d’être bafoué au Rwanda. Un de ces moments est le massacre de son ami au moment du Génocide : « A titre d’exemple, pendant le génocide, même si j’avais 10 ans, j’avais un collègue de classe de 3ème année primaire dont le nom est Moïse Iradukunda. Nous nous asseyions sur le même pupitre. Il est mon grand ami. Il était aussi intelligent que moi. Son père s’appelait Joseph Byomboka. Je l’ai vu un jour en train de courir, poursuivi par un homme plus âgé, dont le nom est Emmanuel Nditabye. Moise était coupé avec une machette parce qu’il était tutsi. Il a pu échapper à la machette de Nditabye et il a été caché par la vieille Léocadie qui a pris soin de lui en le soignant avec des plantes médicinales traditionnelles qui ont des principes actifs anti-infectieux. Ce qui m’a le plus marqué est qu’après être guéri, le garçon de mon âge a été tué à cause de l’ethnie qu’il ne s’est pas donné, l’image de ce garçon ne quittera jamais mon cerveau ».

Il se souvient aussi du jour où sa mère a été battue sévèrement pour avoir voulu aider une amie à elle : « Un jour, ma mère et moi, sommes allés apporter de la bouillie à une vieille nommé Eutarie. Elle était cachée dans un champ dense d’haricots pour de ne pas être tuée car elle était tutsie. Au retour, un bourreau nommé Ruhaya nous a vu passer avec un thermos à la main et s’est précipité vers nous en demandant pourquoi nous aidons l’ennemi. Ma mère a couru mais l’homme l’a rattrapée et battue avec le poignet de la machette. Elle a été sauvée du fait qu’elle était Hutu ».

Il n’y a pas que des actes barbares commis pendant le génocide qui l’ont marqué. Il raconte aussi comment il a vu des personnes qui ont été tuées après le Génocide : « Lorsque l’armée de FPR venait de prendre le pouvoir par force, sur la route menant à l’école, c’était en septembre 1994, au centre de Gatsiro, j’ai vu 8 cadavres des personnes qui avaient été tuées les militaires du FPR, dont un parmi eux était mon enseignant de première année, nommé Jean Sebadiho. C’est celui qui m’avait appris à lire, à écrire et à compter. Mais les Inkotanyi l’ont tué alors que tout le monde savait qu’il était un homme loyal, qui méritait sont titre d’éducateur. Que son âme repose en Paix », déclare-t-il.

C’est d’avoir assisté à un jeune âge à ces actes barbares et inhumains et de commis de deux côtes (ancien et nouveau régime) est ce qui a poussé Matuje à devenir activiste.

Matuje décide d’être activiste

Matuje combat l’injustice peu importe qui la commet. Il s’est donné le devoir de restaurer la justice au Rwanda. Il se souvient ses des élections présidentielles en 2003, il a été chassé du bureau de vote, à l’Ecole Primaire de Nkanka, bureau dirigé par son grand frère, Pierre Niyonzima, car il avait refusé de vote le candidat qui lui a été imposé par un certain Eliazar Kanyamahe, accompagnés par plusieurs militaires en tenu civil. « J’avais essayé de suivre les professions de foi des candidats dont les principaux étaient Paul Kagame et Faustin Twagiramungu, mais il y avait aussi Jean Népomuscène Nayinzira et Alvera Mukabaramba. J’avais le droit de choisir par moi-même, mais ce n’était pas permis », explique-t-il. Cette expérience lui a valu de se brouiller avec son grand frère dont la situation avait mis en colère.

Sa rencontre avec deux figures de l’opposition

Au Petit Séminaire, il était inspiré par deux prêtres, qui aujourd’hui sont des figures de l’opposition en exil : L’Abbé Thomas Nahimana qui était Préfet des Etudes et son père spirituel et l’Abbé Fortunatus Rudakemwa qui était Recteur. Ce dernier a été son rôle modèle car il écrivait et Aphrodis aimait lire n’importe quoi, de ce fait l’un écrivait et l’autre lisait. Rudakemwa luttait pour la liberté d’expression et Nahimana préconisait la non-violence active. Les deux ont inspiré Aphrodis Matuje : « Combiner leur vision de la lutte m’a fort construit et cela a été l’origine de mon clavaire ».

Le début du chemin de croix

En 2011, Matuje faisait son mémoire de fin d’études supérieures. Ses rôles modèles, les deux prêtres du Petit Séminaire avaient fondé un site internet appelé « leprophete.fr [un site d’information qui critiquait le régime rwandais qui était géré par les deux prêtres qui s’étaient exilés du Rwanda] que Matuje aimait consulter : « je consultais souvent leur site mais ce site n’était pas apprécié par le pouvoir du FPR. On l’accusait d’être divisionniste et propagandiste de l’idéologie génocidaire, mais cela ne me regardait pas. C’est leur affaire », témoigne-t-il.  

Consulter ce site lui a valu d’être dénoncé par Jean Damascène Muhire avec lequel ils avaient eu un différend. Leur différend remontait en en 2004, dans l’avant dernière année du Lycée. Il y avait eu des élections des représentants d’ARDHO (Association Rwandaise des Droits de l’Homme). Les deux se présentaient pour le poste de comptable.  Jean Damascène Muhire, a corrompu les organisateurs de vote et a remporté le poste. Une fois les résultats proclamés, les électeurs n’ont pas été convaincu et ont demandé un recomptage des voix. Matuje a obtenu le poste suite à ce recomptage et Muhire a gardé une rancœur contre lui.

En 2011, Muhire a obtenu l’occasion de se venger car c’est lui qui informé les instances chargées de sécurité que Matuje échangeait avec les ennemis du pays, en l’occurrence, les prêtres en exil, en Europe.

Premier kidnapping

Les forces de l’ordre rwandaises ont enlevé pour la première fois Matuje, il a été conduit et gardé pendant une semaine au centre de détention de la CID (Criminal Investigation Department), appelée communément « Chez Gacinya ». Apres cela, Matuje a été conduit à la Station Métropolitaine de Remera, il était accusé d’être un traitre à la nation et l’idéologie génocidaire. Il a plaidé non coupable et eux n’avaient pas de preuves tangibles. Pourtant, ils l’ont traduit devant le tribunal, et celui-ci a décidé d’une prévention préventive de 30 jours qui a duré 182 jours.

En date du 25 septembre 2011, il a été acquitté car le procureur, Alain Mukurarinda (qui est désormais un des porte-paroles du gouvernement rwandais) avait falsifié l’acte d’accusation en la basant sur un faux document qui n’a jamais existé. Cet acte d’accusation était fondé sur un e- mail demandant à Thomas Nahimana une copie du « Mapping Report de l’ONU en RDC». La juge s’est rendu compte que le procureur avait utilisé un faux document, stupéfaite elle a libéré M Matuje le 27 septembre, sans toutefois condamner les accusateurs. Matuje a pu reprendre ses études avec des difficultés et a été diplômé en 2012.

Matuje explique avoir été discriminé dans le cadre du travail car bien qu’il ait été le premier au concours pour diriger des établissements scolaires, on l’a affecté dans un établissement non réputé.

Engagement politique

En date du 23 novembre 2016, l’Abbé Nahimana Thomas devait regagner le Rwanda pour se présenter aux élections présidentielles de 2017. Matuje dirigeait la délégation qui devait l’accueillir à l’aéroport. Nahimana a été empeché d’aller au Rwanda mais le visage d’Aphrodis Matuje avait été remarqué. Il a été interpellé par le bureau de renseignement. Alfred Gasana, aujourd’hui Ministre de la Sécurité Intérieure, qui dirigeait les renseignements à l’époque, lui a proposé de le nommer député et en échange il devait espionner le Père Nahimana et Callixte Nsabimana alias Sankara. Il a refusé.

Les problèmes au travail

Matuje pense que tout ce qui lui est arrivé après est le prix pour avoir refusé une proposition de collaborer avec les autorités. Le maire Kamali aimé Fabien a commencé à le menacer, il lui envoyait des filles mineures afin de lui tendre un piège pour pouvoir lui coller un cas de viol. Matuje n’est pas tombé dans le piège à maintes reprises. Le maire a alors essayé d’autres méthodes : « Echoués à cela, ils ont voulu utiliser l’un de mes enseignantes que j’avais coté négativement et la femme a refusé. Je la remercie beaucoup ! Par après ils ont voulu passer par l’audit et j’ai été innocenté car je m’y étais préparé ».

Selon Matuje depuis juin 2018 ses communications téléphoniques étaient écoutées et les autorités ont su qu’il communiquait avec Nsabimana Callixte Sankara qui avait fondé un parti d’opposition. Cependant les autorités n’ont pas su qu’il n’y avait pas de relation entre lui et Sankara car lorsque Sankara lui avait proposé de regagner son parti Matuje avait refusé : « Il m’a proposé d’être son partisan et j’ai refusé. Tout d’un coup je lui ai bloqué car, dans ma philosophie, je n’admets pas que l’arme peut résoudre un problème. Je préconise la non-violence comme me l’a conseillé mon père spirituel au Petit Séminaire (…) ».

Deuxième kidnapping

Le 14 juillet 2018 Matuje était en visite chez les amis Fidèle et Zacharie. Tout d’un coup les forces de l’ordre ont débarqué pour l’arrêter. Tous les trois ont été conduits au camp Kami. Leurs jambes étaient enchainées et les bras menottés. Pour Matuje le camp de détention de Kami est le pire endroit au monde. Ils y ont passé une année et demie. Au camp Kami Matuje est tombé dans le coma à trois reprises. Il a voulu se suicider mais n’a pas réussi car il était menotté, il n’avait pas la force de descendre son pantalon au point où il faisait les grands besoins sur lui-même. C’est une expérience qui se résume en seul mot : la torture.

Alice Mutikeys

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