Aphrodis Matuje : il avait pointé du doigt le ministre Alfred Gasana s’il lui arrivait quelque chose

Son chemin de croix partie 2.

Première partie : Le chemin de croix d’Aphrodis Matuje porté disparu pour la 3ème fois au Rwanda – partie 1. Dans la première partie, Matuje avait été kidnappé pour la deuxième fois et était détenu au centre de détention du camp Kami.

Depuis le 26 mai 2022, les amis et famille d’Aphrodis Matuje n’ont pas de ses nouvelles. C’est la quatrième fois qu’il est porté disparu. Ses proches pointent du doigt les autorités rwandaises car ce sont elles qui l’ont enlevé et détenu au secret les trois premières fois. Avant cette dernière disparition forcée, M Matuje avait témoigné sur le micro d’Umurabyo TV. Dans son témoignage il avait dit que ce seront au Ministre Alfred Gasana, qui a longtemps dirigé l’équivalent de la DGSI au Rwanda et à l’Inspecteur Général de Police, IGP Dan Munyuza, lui aussi un homme des renseignements et un des plus grands criminels du Front Patriotique Rwandais, qui monopolise le pouvoir au Rwanda depuis 1994, de répondre si quelque chose de mal lui arrivait. Dans cette deuxième partie nous verrons le chemin d’Aphrodis Matuje depuis le centre de détention secrète du camp Kami, au sein duquel il a été torturé jusqu’à sa dernière disparition forcée.

Dans son témoignage Matuje affirme que c’est difficile de comprendre comment le FPR fonctionne. La plus grande torture qu’il ait subie est pour lui la faim. Lui et les autres pouvaient passer 2 ou 3 jours sans manger ni boire. Apres une année et demie, ils ont été transférés chez Kabuga [un autre centre de détention sécrète au Rwanda]. Chez Kabuga, il y avait d’autres prisonniers, la vie y était moins difficile car ils avaient été démenottés.

En 2020, au mois d’avril, Matuje a été interrogé par les agents du RIB. Le premier était Jean de Dieu Kabare, à l’époque il était Chief Superintendant of Police, actuellement il est chargé du « Central Crime Division Manager ». Le CSP Kabare a demandé à Matuje d’aller témoigner contre Nsabimana Callixte Sankara. Il a accepté pour être libéré. Les négociations n’ont pas abouti. Matuje était accusé d’avoir financé les attaques du FLN [un groupe armé] alors que son revenu mensuel était de 200,000 FRW (~182€) et sa femme ne travaillait pas. Il se demande où il aurait pu trouver une telle somme ? Ils sont restés en prison et ont été libérés le 14 septembre 2021 et ont été conduits dans leur région natale à Rusizi.

La libération

Le jour de leur libération, le convoi du FPR composé par deux pick-ups de marque Toyota Vigo les ont transportés jusqu’à Rusizi dans leur région natale. Ils étaient escortés par les militaires. Matuje s’interrogeait sur le devenir de  son épouse et ses enfants. Les militaires leur ont prêtés des téléphones mobiles pour appeler leurs familles. Matuje avait retenu par cœur le numéro de téléphone de son épouse. Il lui a donc téléphoné : « En appelant mon épouse, elle a été surprise car elle avait été informée que j’étais mort. Elle m’a répondu qu’elle était bien portante et qu’elle était à Save, dans le district de Gisagara. Je lui ai demandé ou étaient nos enfants et elle m’a dit que nos enfants étaient chez leur grand-mère. J’ai eu mal à accepter cette nouvelle », en effet lorsqu’il était porté disparu sa femme avait refait sa vie car la police lui avait dit que son mari était décédé.

Matuje a une dent contre le FPR qui a cassé son mariage en mentant à sa femme sur son sort, il dit toujours l’aimer et n’avoir rien à lui reprocher : « Le FPR a le devoir d’expliquer aux Rwandais pourquoi il fait ce qu’il fait. Détruire la famille d’autrui sans aucun motif. Ils ont leurs femmes mais la mienne est dans le dilemme. Ils me doivent des explications et les doivent à tous les Rwandais », a-t-il déclaré.

Matuje, qui aime sa femme, dit la comprendre et ne veut pas la critiquer. Il ne sait pas quoi dire à ses enfants qui vivent avec lui et donc grandissent sans leur mère. C’est avec compassion qu’il évoque le choix que sa femme a fait : « Elle avait 27 ans et sans emploi. Elle avait le droit de chercher un avenir prometteur avec l’homme qui l’a courtisée. Je ne la condamne pas …. Je lui ai pardonné et je lui remercie de ses efforts qu’elle a fournis pour me trouver ».

Il a expliqué aussi pourquoi il avait choisi de l’épouser : « Ma femme est rescapée du génocide. Je l’ai épousée pour deux raisons importantes : il y avait une autre jeune fille qui m’intéressait et j’ai choisi la mère de mes enfants car, en premier lieu nous nous aimions, et en deuxième lieu je voulais prouver à la société que l’union entre Hutu et Tutsi est possible, c’était une bonne voie de l’unité et de la réconciliation ». Sur ce point Matuje demande au FPR si l’unité et la réconciliation dont ils parlent a un sens pour eux, il déplore que le système ait rejeté leur modèle familial : « Pourquoi n’ont-ils pas pris pour modèle notre famille ? », Matuje a ajouté que maintenant il y a une mésentente entre sa famille et sa belle-famille à cause de ce que le FPR a fait. Pour Matuje le fait que leur foyer ait été détruit a donné raison à ceux qui ne croyaient plus aux mariages mixtes après le génocide et qui y avaient recru après leur mariage : « Il y a un ami médecin tutsi qui avait une copine hutue, je lui ai donné mon témoignage et ils ont fondé un bon foyer. C’est le fruit de notre famille. Ce que le FPR m’a fait a blessé tout mon entourage et je ne pense pas que l’on puisse le réparer ».

Pour finir Matuje dit que par son mariage inter-ethnique, il voulait aussi contredire tous ceux qui avaient calomnié à son sujet en disant qu’il était extrémiste : « Je n’ai jamais eu l’idéologie génocidaire comme le prévoyait mon collègue, Jean Damascène Muhire  [présenté dans la première], contrairement à lui qui disait que les filles hutues puaient, je lui ai montré que je peux me marier à une tutsie, mais il ne l’a pas reconnu, il a mis un fardeau sur toute notre famille ». Matuje pensent que des personnes comme Muhire font des accusations en miroir. « Ce sont eux qui sont dominés par des pensées divisionnistes » conclu-t-il sur ce sujet.

Après sa libération lorsqu’un groupe d’anciens séminaristes [comme lui] a voulu l’aider après avoir entendu qu’il était toujours en vie, Muhire s’y est opposé catégoriquement. Ce qui laisse des interrogations à Matuje. Comment une personne peur condamner une autre alors que cette dernière a un casier judiciaire vide ? Au moment de ce témoignage (début avril 2022) Matuje vivait avec ses deux enfants à Kigali et disait recevoir toujours des menaces. Malgré cela il disait aimer et vouloir servir son pays bien que la réintégration dans le système éducatif rwandais lui ait été refusé.

Troisième enlèvement

Le 23 février 2021 soit 5 mois après sa libération, Matuje a voulu fuir le pays par voie illégale ne pouvant pas obtenir un passeport qu’il avait demandé depuis 2011. [les prisonniers politique ou d’opinion n’ont pas le droit de quitter le Rwanda une fois libérés]. Il a pris ses enfants pour se rendre à la frontière entre le Rwanda et la Tanzanie, il a changé d’avis au milieu du trajet. Sur son chemin retour, il s’est rendu compte que ses enfants et lui étaient poursuivis par les forces de l’ordre rwandaises. Ils ont été arrêtés et conduits à la Station de la Police Métropolitaine de Remera pour la 3ème fois. Cette fois-ci, il fut emprisonné avec ses enfants en bas âge dans un cave.

Lire : Rwanda : Aphrodis MATUJE et ses enfants sont portés disparus depuis un mois

Matuje se demande pourquoi la police rwandaise ose emprisonner les enfants de moins de cinq ans sans rien craindre. Matuje avait reconnu son tort d’avoir voulu fuir le pays. Ses enfants ne comprenaient pas pourquoi il était menotté alors qu’au moment de leur arrestation il portait un masque, dans leur innocence seuls ceux qui avaient omis de porter un masque pouvaient être menottés [pratique au Rwanda pendant la période du Covid]. Matuje dit leur avoir menti en leur faisant croire que c’est parce qu’il portait mal le masque.

Il se demande quel Etat de droit peut emprisonner des enfants de moins de cinq ans sur le simple fait que leur papa a eu l’intention de fuir le pays ? Pourquoi ne pas épargner les enfants pour leur protection ?

Matuje et ses enfants sont restés en prison un mois, les enfants mangeaient bien, un repas complet avec des légumes. Matuje a proposé sa vie contre la libération de ses enfants et cela lui a été refusé : « J’ai demandé aux agents de me tuer et laisser mes enfants sortir de la prison, mais ils ont refusé », explique-t-il. « Il n’y a un savant romain qui a dit qu’il n’y a pas de règles devant les armes », conclu-t-il.

Si Matuje a voulu fuir le pays c’est qu’il se sentait marginalisé et isolé alors qu’il n’avait rien à se reprocher.

Lui et ses enfants ont été libérés le 25 mars 2022. Il ne sait pas qui a pris la décision de les libérer mais pense au chef de la Police Métropolitaine et autres agents. Avant leur libération ils lui avaient demander d’écrire une lettre aux différentes institutions, notamment à l’IGP Dan Munyuza, Inspecteur Général de la Police ainsi qu’au directeur de la NISS. L’objet de la lettre était la demande de pardon même s’il ignore pour quelle faute dans la mesure où il n’était pas allé au bout de sa tentative de fuir le Rwanda. Au vu de la loi rwandaise il n’y a ni infraction, ni crime commis. Dans la lettre il avait été obligé de préciser qu’un dernier avertissement (last warning) lui était donné et que le prochain coup sera suivi par la peine de mort : « être tué sur le champ ». Matuje aurait aimer que les autorités rwandaises disent en public ce qui lui est reproché : « Je demande à ces instances de venir au près des médias et expliquer de quoi ils m’accusent. Je demande aussi à ceux qui ont reçu ma lettre, notamment le Ministre de la Sécurité Intérieure, Alfred Gasana et l’IGP Dan Munyuza, d’expliquer pourquoi je suis placé sous résidence surveillée. Je les vois ces jeunes gens en lunettes fumées qui portent des chapeaux, et ils savent que nous nous connaissons ». Son souhait n’a pas été exaucé et à la place il est porté disparu pour la quatrième fois depuis le 26 mai 2022.

Alfred Gasana à gauche, Matuje au mileu et Dan Munyuza à droite

Apatride sans son propre pays

Matuje affirme qu’il est Rwandais comme les autres. Il ne sait pas pourquoi il est privé des droits fondamentaux, vit sous surveillance et se sent apatride dans son propre pays. Il aurait aimé avoir un peu de répit et avait demander aux autorités de le laisser respirer un peu : « Je sais qu’ils m’écoutent, cette fois-ci, je suis à bout » avait-il lancé aux autorités.

Déterminé à se sacrifier pour le Rwanda

Matuje avait gardé sa détermination malgré son troisième kidnapping et détention au secret, il était prêt à payer de sa vie : « Si me tuer résoudra les problèmes des Rwandais, qu’ils me tuent. Je n’ai pas peur de mourir », avait-il dit en rappelant que les injustices que subissent les Rwandais peuvent expliquer pourquoi ils sont classés parmi les nations les plus triste au monde. Il disait que ses enfants et lui vivaient très mal après leur libération et demandait de l’aide auprès de Rwandais. Il a demandé au FPR de lui reconnaitre comme un citoyen à part entière. Il avait aussi rappelé que personne ne peut aimer le Rwanda plus que les autres notamment que le FPR qui prétend aime les Rwandais et les emprisonnent injustement se ment à lui-même et aux Rwandais.

Il avait terminé en pointant du doigt ceux qui devront répondre si quelque chose lui arrivait : « Tout ce qui va se passer de mauvais sur moi que ma famille le demande au Ministre Alfred Gasana et à l’IGP Dan Munyuza ». Il avait bon espoir qu’il y aura un moment où ceux qui ont le même problème que lui pourront s’adresser à la communauté internationale. Il demandait que les emprisonnements illégaux et les tortures s’arrêtent au Rwanda. Il était déterminé à poursuivre la politique malgré les difficultés.

Alice Mutikeys

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