André Sibomana : martyr du Rwanda, une inspiration et un héros pour la vérité

Il ne fait pas bon pour sa liberté et/ou la vie d’être journaliste indépendant ou penseur libre au Rwanda. Le dernier cas en date est celui du journaliste Niyonsenga Dieudonné, Cyuma Hassan, condamné à sept ans de prison pour faux et usurpation d’identité, le 11 novembre 2021, un verdict dont son avocat a dénoncé l’illégalité : « Nous faisons appel de ce verdict […] Ce n’est tout simplement pas légal », a dénoncé vendredi son avocat Gatera Gashabana ». En prison sa vie est en danger.

Cyuma Hassan

Dans cet article nous rendons hommage à un autre grand journaliste rwandais André Sibomana qui n’a pas survécu à la violence du FPR.   Comme le note sa page Wikipédia, André Sibomana (1954-1998) était un prêtre et journaliste rwandais et une figure exemplaire lors du génocide rwandais. Il était également un militant des droits de l’homme et l’un des fondateurs de l’Association rwandaise pour la défense des droits de la personne et des libertés publiques, qui a pour mission d’enregistrer des informations sur toutes les violations des droits de l’homme survenant au Rwanda et de les publier dans un rapport.

À partir de 1988, André Sibomana a été rédacteur en chef du journal catholique romain Kinyamateka, propriété de la Conférence épiscopale, qui était le seul journal privé du Rwanda et qui était largement diffusé dans les paroisses rwandaises. Sibomana était attaché à un véritable journalisme d’investigation, mais il vivait dans un État qui ne garantissait pas la liberté d’information. Comme il publiait des rapports indépendants qui s’avéraient extrêmement gênants pour les autorités, il a été jugé plusieurs fois en 1990, mais en vain car il avait les preuves de ce qu’il publiait.

Ainsi, Sibomana était l’une des rares voix indépendantes au Rwanda dans la période précédant le génocide. Lorsque ce dernier a éclaté, il a compris qu’il deviendrait rapidement la cible des extrémistes. Il s’est échappé de la capitale Kigali et a utilisé sa position pour sauver la vie de nombreuses autres personnes. « Pour de nombreuses personnes au Rwanda, le fait de ne pas tuer était, en soi, un acte de résistance. Plusieurs paysans ont été tués parce qu’ils refusaient de frapper les cadavres de leurs voisins tutsis. Il y a des hommes courageux et droits qui n’ont pas pu ou pas osé venir en aide à leurs semblables et qui vivent aujourd’hui avec le remords de ne pas l’avoir fait. Il n’y a aucun mérite à ce que j’aie sauvé quelques personnes, car il était en mon pouvoir de le faire. Ma position me donnait une meilleure chance que d’autres« , explique Sibomana à la page 86 de l’entretien qu’il a accordé à Laure Guibert et Hervé Deguine en 1996 en Israël et qui a été publié ultérieurement. Après la guerre, André Sibomana a repris son travail de rédacteur en chef de Kinyamateka et a soutenu la réconciliation jusqu’à sa mort en 1998. Il a adopté sept orphelins.

En 2000, Sibomana a été nommé par l’Institut international de la presse comme l’un des 50 héros mondiaux de la liberté de la presse des 50 dernières années.

Quelques extraits de son entretien, qui nous montrent la personnalité hors du commun de Sibomana

  • Un prêtre engagé et heureux  

Interrogé s’il n’avait jamais songé à mener une vie de couple et de famille, André Sibomana a répondu qu’il était père adoptif de sept enfants orphelins que sa famille était la communauté : « Disons que je me suis marié à une communauté plus large que le couple et que ma famille est l’église. Ce ne sont pas seulement les mots ; c’est une réalité que j’assume quotidiennement. Ce n’est pas un sacrifice non plus. Je donne beaucoup, mais je trouve également mon bonheur dans cette vie consacrée aux autres. Et j’en tire certains avantages. Par exemple, la vie de célibataire permet d’être disponible sans restriction. »

  • Un homme qui n’hésitait pas à manifester sa bonne colère

On vous appelait « la bête sauvage » : « on m’appelait la « bête sauvage », mais en Kinyarwanda la traduction exacte est : « la bête sauvage qui ne dévore pas et ne fait pas de mal. »

  • Un homme convaincu

Tout de même prêtre, journaliste et militant des droits de l’homme : n’y a-t-il pas parfois incompatibilité entre ces trois fonctions ? Etes-vous certains de ne pas confondre les genres ?

« Absolument pas. Ces trois rôles sont tout à fait complémentaires. En tant que prêtre, je prêche l’Evangile et je prends soin des âmes. Le Christ a été envoyé pour apporter la bonne nouvelle au pauvre et la guérison au malade. Le prêtre prolonge ce message. Le journaliste lui donne un certain écho. Le métier de journaliste me permet de mettre à la disposition de la communauté chrétienne des informations qui doivent servir à la pastorale. Kinyamateka m’a permis d’informer l’opinion publique de la misère qui sévissait dans le pays et des massacres qui étaient en préparations. Malheureusement écrire ne suffit pas toujours. Il faut parfois démarcher ses interlocuteurs pour les convaincre. C’est alors que qu’intervient le militant pour les droits de l’Homme ».

  • Un homme engagé aux côtés des plus faibles

« A partir de cette date-là, il n’était plus possible de contester que Kinyamateka était dans le camp de l’opposition, c’est-à-dire dans le camp des plus faibles. C’est toujours de ce côté de la barrière que j’ai maintenu le journal, et c’est de ce côté qu’il se trouve encore, ce que beaucoup n’acceptent pas aujourd’hui. »

  • Un homme déterminé

« Cette expérience me prouva que la détermination est la clé du succès politique, au sens large du terme. Lorsque l’on défend une cause que l’on croit juste, il suffit de peu de moyens pour faire entendre sa voix. Cela ne veut pas dire que l’on gagne à tous les coups. Mais au moins par des actions spectaculaires, on peut influencer une décision et obtenir des résultats très concrets. Dans le cas présent, c’est tout une promotion d’élèves qui a été sauvée. C’est une goutte d’eau dans le contexte des évènements de 1973, mais cette goutte-là était à notre portée et relevait de notre devoir ».

André SIBOMANA  : l’Homme que j’aspire à marcher dans les pas.
  • Un prêtre à l’image de Jésus

« Pour moi l’évêque est le gardien du peuple. Aujourd’hui les Rwandais sont comme des brebis sans berger groupés au bord du précipice. L’évêque doit aller vers ces brebis et les guider. Il doit s’engager aux côtés de ceux dont il a la charge. Je constate que peu d’évêques partagent cette opinion et je pose la question : est-il normal que ni l’évêque de Kibeho ni la conférence épiscopale n’aient cru opportun de dénoncer les massacres de l’Armée Patriotique Rwandaise des réfugiés de Kibeho en avril 1995 ? ».

  • Le souhait pour les Rwandais

« « Quand donc les Rwandais vont-ils enfin pouvoir espérer mourir de vieillesse ? », tel est mon souhait à présent. Que l’on laisse aux Rwandais le temps de vivre et aux enfants celui de d’enterrer leurs parents. De vieillesse ».

André Sibomana est mort à seulement 44 ans son engagement pour la vérité et contre l’injustice gênait le régime de Paul Kagame et son FPR qui lui refusa l’accès aux soins lorsqu’il est tombé malade. Malheureusement pour nous les Rwandais son souhait est devenu un rêve qui semble inatteignable tant la cruauté du FPR est sans limite. L’église rwandaise ne demande pas sa béatification pourtant dire que c’est un martyr n’est pas une exagération mais plutôt admettre la réalité. Lui qui avait vu juste sur la mauvaise direction que prenait l’église du Rwanda dès 1996 n’as jamais perdu sa foi en Dieu malgré les épreuves : « Je n’ai jamais remis ma foi en cause et je n’ai pas douté. Mais j’ai découvert par le sang et les larmes que le chemin de la vérité n’est pas nécessairement un chemin heureux. Ce n’est pas Dieu qui me pose problème, c’est l’homme ».

André Sibomana de là-haut veuillez sur nous, aidez-nous à rester dans le chemin de la vérité et soyez notre soutien lorsque nous rencontrons des difficultés. Aidez-nous à réaliser votre souhait pour les Rwandais pour que nous construisions un Rwanda dans lequel l’on mourra de vieillesse.

Alice Mutikeys

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