Ma mère m’a tué, lecture et analyse

Le témoignage d’Albert Nsengimana est apparu dans les médias lors de la 25 ème commémoration. Il a la particularité que c’est sa mère qui a voulu le faire tuer. La communication des autorités rwandaises autour de ce témoignage était beaucoup axée sur la stigmatisation collective des Hutu. Un extrait d’un tweet de la CNLG (une commission supposée lutter contre l’idéologie du génocide) :

« Albert Nsengimana : Ce moment, alors que les Hutus célébraient le meurtre de nombreux Tutsis, par les acclamations et la consommation de bière locale, mon oncle qui avait été chargé par ma mère de me tuer, s’est battu avec un autre tueur parce qu’il avait une épouse tutsie ».

J’ai voulu savoir si la stigmatisation collective des Hutu venait du témoignage ou de la communication autour du témoignage.  

Ma seconde motivation est venue de la lecture d’un compte rendu détaillé de ce livre, après avoir lu, je me suis posée la question pourquoi si extraits choisis me paraissaient  invraisemblables quel était le contenu du livre ?

Pour ceux qui vont lire les extraits, je mettrai une recommandation « âmes sensibles s’abstenir » devant les récits les plus crus dans l’horreur.

Le titre du livre est « Ma mère m’a tué – Survivre au génocide des Tutsis au Rwanda », coécrit par Albert Nsengimana et Helene Cyr, publié par les éditions Hugo Doc en 2019.

Tout commence par la publication du témoignage d’Albert Nsengimana par le New Times, le 04 juillet 2011. Helene Cyr est tombée sur ce témoignage et a décidé d’aider Albert. Helene Cyr est une canadienne qui vit au Rwanda, Ingénieure brillante elle a été promue Vice-Président de Bombardier à seulement 33 ans. Cinq ans plus tard, elle va se poser des questions sur le sens de sa vie et va s’accorder deux années sabbatiques pour faire des actions humanitaires.  C’est au détour d’un pèlerinage de Compostelle qu’elle va décider d’aller faire un tour au Rwanda. Au Rwanda elle a co fondé une école d’hôtellerie et de tourisme à Kayonza (Province de l’Est) et est conseillère stratégique de la direction de la RDB : l’Agence de développement économique du Rwanda.

Helene Cyr a eu la lucidité de préciser au lecteur : « Il est important de préciser que ce récit est celui d’un rescapé du génocide contre les Tutsis au Rwanda, qui avait sept ans lors des événements et qui raconte ses souvenirs de la façon dont il se souvient, selon ce qu’il a ressenti, etc. Ceci n’est aucunement un livre d’histoire. Par conséquent, les faits, commentaires, opinions sont ceux d’un jeune homme qui n’est ni politicien ni historien. Albert nous raconte le passé et sa vision de l’avenir avec ses connaissances, ses points de vue, ses interprétations d’aujourd’hui »

Avant le génocide

Une famille ordinaire

Dans la première partie du livre, Albert Nsengimana a commencé par raconter l’histoire du Rwanda de 1959 à 1994, et l’histoire de sa famille durant cette période.  La famille d’Albert habitait à Kibungo, dans la commune de Kabarondo et dans le secteur de Rubira. Sa famille appartenait à la classe moyenne. Son père était Tutsi et sa mère Hutu, ils avaient neuf garçons et la famille vivait bien ensemble. Quelques extraits qui racontent sa vie ordinaire avant le 07 avril 1994. :

« Nous n’avions jamais vu de téléphone ou de télévision, et tout le monde ne pouvait pas s’offrir la radio ».

« Nous n’étions pas pauvres. Dans ce temps-là nous vivions bien si l’on nous comparait à nos voisins ».

« Nous habitions à cote de notre grand-père paternel, qui s’appelait Faustin Sekuri. C’était un homme de plus de quatre-vingt-dix ans qui nous aimait beaucoup ».

« Notre champ était plein d’arbustes à manioc, d’avocatiers, de papayers et autres. Je me souviens que nos avocats étaient vraiment délicieux, surtout ceux de l’avocatier qui était dans notre cour  « intérieure, près de la cuisine. Les fruits de ce petit arbre mûrissaient souvent sur pied, et nous nous faisions un plaisir d’y grimper pour aller les cueillir et les manger.  » 

« Notre bananeraie donnait de superbes fruits pour fabriquer de la bière. C’étaient des bananes de l’espèce dite « Gros Michel », « Frécinette » »

Au déshonneur des anciennes autorités

J’ai choisi ce titre pour résumer quelques extraits du livre. Pour le jeune Albert les Rwandais de l’époque se divisaient en deux catégories : les Hutu, pro Habyarimana, les privilégiés et les Tutsi, les victimes. Quelques extraits :

 « Je suis né le 11 novembre 1987. Personne, ni mon père ni ma mère, ne m’a communiqué ma date de naissance. Je l’ai découverte sur ma fiche d’identification ». Cet élément a permis de rappeler que les ethnies étaient mentionnées sur les fiches d’identifications scolaires.

« Un jour, un de mes frères a été attaqué au couteau. Il a reçu plusieurs coups et a bien failli mourir. Ses assaillants avaient pris pour prétexte qu’il avait un grand nez, caractéristique des Tutsis… » Cet exemple illustre un acte de vandalisme « peu subtil » de la part des groupuscules de jeunes délinquants qui auraient ajouté à cet acte « Qu’un jour, ils extermineraient toute notre famille ».

« Non seulement l’armée actuelle est différente de celle de Habyarimana mais elle n’a pas de préjugés sur les régions d’origine des candidats, qui, autrefois, assuraient aux Tutsis d’être éliminés d’office. Ceux qui réussissaient à s’enrôler devaient mentir à propos de leur identité ou présenter de faux papiers certifiant qu’ils étaient hutus. Les recrues des préfectures de Gisenyi, Kibuye et Ruhengeri étaient avantagées. Nombre de soldats, de dirigeants ou de politiciens étaient originaires de cette région, où était né Habyarimana. On les appelait urukiga, qui, soit dit en passant, n’a rien de péjoratif, cela signifie simplement qu’ils sont de la région du Nord, et ce terme est encore utilisé de nos jours ».

«Ce n’étaient pas seulement les forces armées qui privilégiaient les Hutus, mais aussi les écoles. Lors des examens nationaux de fin de cycle, les Tutsis qui avaient obtenu des places dans les cycles étaient systématiquement remplacés par des étudiants hutus, car il aurait été inconcevable qu’un enfant hutu, qui aurait pu occuper sa place, reste à la maison ».

« Les voisins des familles de militaires les soudoyaient pour s’assurer leur protection et éviter de se faire assassiner. Je veux surtout parler des Tutsis voisins de familles hutues ayant des enfants dans les forces armées. » 

« Lorsque mon frère a été arrêté, ils l’ont emprisonné alors qu’il avait acquitté ses taxes mais oublié son reçu à la maison. Étant donné qu’il était tutsi, ils l’ont enfermé, torturé, battu horriblement. Mon père a tout fait pour intercéder en sa faveur, mais sans aucun succès. Il est resté en prison plus d’un mois alors que ceux qui avaient été arrêtés en même temps que lui avaient été relâchés parce qu’ils étaient hutus. Tous ceux qui étaient tutsis avaient été détenus ensemble avec mon frère. Ce dernier, Aphrodis Kayumba, était l’aîné de ma famille. Il a finalement été tué pendant le génocide. » Si cette scène ne se déroulait pas à Kabarondo, elle n’aurait pas retenu mon attention. En effet les évènements de Kabarondo ont fait l’objet d’un procès devant la Cours d’Assises de Paris. J’ai suivi le procès… Dans ce procès, les témoins sont remontés jusqu’à un évènement de 1986 mais cette pratique qui aurait consisté à emprisonner les Tutsi et libérer les Hutu n’est pas ressorti (ou je n’en ai pas eu connaissance).

Pour le jeune Albert Nsengimana, les Interahamwe d’avant le génocide étaient : « Beaucoup étaient des personnes non éduquées, d’autres des vagabonds qui prenaient de la drogue et volaient, Ces vauriens portaient des uniformes du parti politique MRND et du parti MDR (Parmehutu4). Les désordres précédant le génocide avaient été provoqués par les Interahamwe du MRND entraînés par les militaires spécialisés dans la planification des massacres des Tutsi» .

Byenda Gusetsa (On peut presque en rigoler)

Pour  Albert Nsengimana,  Muhabura était une radio au secours de la population et le Kinyamateka, un média de la haine !

« Je ne peux oublier de mentionner les journaux comme Kangura et Kinyamateka, qui ne publiaient que des textes appuyant la ségrégation basée sur l’ethnicité.  »

« Cette radio [Muhabura] a aidé ses auditeurs. Même dans leur cachette, ils apprenaient ce que le gouvernement de Habyarimana tramait vraiment. »

Kabarondo, une commune avec un micro climat dans les pratiques sociétales

Il s’agit, selon moi de certaines pratiques qui subsistaient au Rwanda mais qui deviennent la norme à Kabarondo dans le livre. Ou des stéréotypes qui sont repris dans le livre sans  aucune prise de recul (heureusement qu’Helene Cyr nous avait prévenus sur comment appréhender le livre).

 « Selon la croyance populaire, certaines maladies étaient causées par de mauvais sorts qu’on leur avait jetés et cela engendrait des chicanes de voisinage ».  

La norme pour les mariages à Kabarondo, était Guterura, l’équivalent des mariages forcés dans lequel un jeune homme piège la jeune fille qu’il convoitise et la soulève et la force de vivre avec lui, une fois le mariage consommé les parents de la fille ne peuvent plus que l’accepter.  Pour les lecteurs nos Rwandais, cette pratique est contraire au mariage traditionnel, dans lequel ce sont les parents qui choisissaient (c’est aussi un mariage forcé)  et  la famille de l’homme donne une dot à la famille de la femme. Un élément essentiel dans la culture rwandaise. Je n’ai pas compris ce que cet élément incongru apportait au témoignage, si ce n’est qu’il a permis de souligner que les autorités actuelles font mieux que les anciennes : « Lorsque la fille mettait au monde son premier enfant, ses parents lui rendaient visite pour la féliciter et lui remettre des cadeaux igikoma cy’ababyeyi. Je me souviens que c’est ainsi que les unions se déroulaient avant le génocide, mais je ne saurais dire si ces coutumes existent encore aujourd’hui, car l’État insiste pour que ceux qui désirent se marier passent par les instances légales. En effet, désormais, les jeunes gens doivent se rendre à la mairie et signer pour prouver leur consentement mutuel devant la loi »

Pendant le Génocide

C’est dans la nuit du 06 au 07 au soir, sans avoir écouté la radio, que la famille d’Albert a appris la mort du président rwandais de l’époque « On disait que l’avion de Juvénal Habyarimana avait été abattu par un missile sol-air tiré non loin de l’aéroport international de Kanombe, à Kigali ». Je dois avouer que cet extrait m’a laissée bouche bée !

Dès le 07 avril au matin, vers 8h du matin, les habitants de Kabarondo, fidèles à leurs micros climat, étaient déjà à fond : « vers huit heures du matin, j’ai vu plusieurs personnes dans la rue. Elles portaient des lances, des arcs, des flèches, des machettes, etc. Et étaient prêtes pour la guerre. Nous avions peur. C’est alors que les massacres commencèrent après que les radions eurent annoncés que les Tutsi étaient les ennemis, et que, tout comme les serpents, ils ne devaient pas être considérés comme des êtres humains. Tel était le plan des Hutus pour se débarrasser rapidement de nous. »

A 16h, le bourgmestre de Kabarondo aurait prononcé ce discours : « Vers seize heures, le bourgmestre de Kabarondo, M. Octavien Ngenzi (qui vit aujourd’hui en France), est arrivé dans notre village. Je me souviens que M. Octavien conduisait une Toyota Stout 2200 rouge, et qu’il portait des lunettes. C’est lui qui déclencha le génocide dans notre agglomération. Il était accompagné des deux politiciens [je me demande s’ils n’ont pas voulu dire « policiers »] communaux. Arrivé dans notre village, il leur a ordonné de tirer en l’air pour annoncer le début des massacres de Tutsis. Il s’est emparé d’un microphone en déclarant : « Écoutez-moi bien. Nous avons tous un même et seul ennemi dans la personne des Tutsis « Ce sont des serpents. Peu importe où ils se trouvent. Nous ne pouvons pas les laisser tranquilles. Pourchassez-les partout, ainsi que tous leurs descendants. N’épargnez personne, pas même leurs bébés. Si une femme hutue est enceinte d’un Tutsi, éventrez-la et arrachez-lui ce cafard. Que chacun de vous se munisse d’armes pour tuer. Si vous n’en avez pas, prenez des machettes. Aiguisez-les et allez à la chasse aux Tutsis. Celui qui exterminera le plus de cafards sera récompensé. Nous sommes derrière vous ! » J’ai entendu ce discours non loin de chez nous. Ce soir-là, ce fut la dernière fois que j’ai vu mon père et mes frères ensemble. »

Voilà un élément crucial sur les évènements de Kabarondo qui a échappé à l’enquête et à la justice française.

Après ce discours le père et les grands frères vont se cacher dans l’église de Kabarondo.  La mère hutue est partie se cacher dans sa famille avec les autres frères en laissant les plus jeunes à la maison et sans leur informer où elle allait. Albert Nsengimana est resté seul avec ses petits frères qui avaient 5 ans et 3 ans.

Le 08 avril ils vont aller chercher de l’aide auprès de leur grand-père paternel, qui va les envoyer dans la famille de leur mère, car elle était hutue et pensait qu’ils seraient protégés là-bas. C’est la dernière fois, qu’Albert a vu son grand-père vivant.

Arrivés chez sa grand-mère maternelle, ils vont retrouver leur mère et leurs grands frères. La famille maternelle avait dit aux grands frères que« Ce seraient moins compliqué s’ils les laissaient les tuer tout de suite … ». A partir de ce passage, les Interahamwe ont un nouveau visage. En effet on passe des vauriens de la première partie, à des membres de la famille maternelle d’Albert : la mère, la grand-mère,  les cousins, la tante maternelle, son cousin, sa cousine, son autre cousin. A eux s’ajoutent  le parrain de leur père et les fils de ce dernier. Nota : ici Interahamwe est toute personne qui a soutenue ou a participé aux tueries. (âmes sensibles s’absteni)r 

Quelques extraits :

« Notre grand-mère, elle, nous a dit « Allez-vous en, mes enfants, à la rencontre de votre mort » »

« Alors qu’ils étaient sur le point de passer à l’acte, la femme de mon cousin leur a interdit de me tuer chez elle. Elle était préoccupée par le fait qu’ils n’avaient pas d’endroit pour se débarrasser de mon cadavre. Ils ont alors expliqué qu’ils comptaient me jeter dans ses latrines. Elle s’est exclamée « « Non et non  ! Où irais-je faire mes besoins si vous le jetez dans mes toilettes ? Ce n’est pas comme si j’en avais plusieurs. Emmenez-le ailleurs pour le tuer. » Ainsi, elle avait réussi à retarder mon meurtre, non par compassion mais bien pour préserver son petit coin… »

Un parent de sa mère Rutwitsi « J’ai tué sans arrêt depuis le matin. Je suis épuisé. Vous n’avez qu’à l’exécuter vous-mêmes. »  D’ailleurs, un des éléments qui l’a sauvé est que les membres de sa famille qui devaient le tuer, étaient tous fatigués d’avoir beaucoup tué.

A cet instant le jeune Albert était seul car ses frères avaient été tués par un groupe d’Interahamwe dans la cours de leur école. Il avait réussi à se cacher.  Il s’est résigné à retourner chez sa grand-mère et sur place il a réalisé que sa mère avait amené ses petits frères pour les faire tuer. C’est sa cousine qui le lui a annoncé après lui avoir dit « Nous pension que tu étais mort et te voilà bien vivant ». Après cet accueil glacial, sa mère va lui demander de se laver, se s’habiller et de le suivre :

« À notre arrivée, tous les tueurs étaient partis. Celui qui devait me tuer était un cousin. Il était chef d’une brigade d’Interahamwe. C’est à lui que ma mère avait remis mes petits frères pour  leur ôter la vie. À notre arrivée, nous avons été informés qu’il avait pris une pause, était parti boire du kanyanga et manger la viande des vaches volées aux Tutsis. « En effet, ils s’appropriaient des vaches de leurs victimes pour faire ripaille. Ma mère m’a alors emmené chez sa petite sœur pour que nous « y attendions mon nouveau bourreau. Ils nous ont offert du thé chaud que je n’ai pu avaler. J’ai considéré ce geste comme une moquerie de leur part. À mes yeux, ma vie était déjà finie. Nous avons attendu quelque temps, puis ma mère a demandé à l’homme de la maison : « Où se trouvent les tueurs ? » Il a répondu : « Est-ce que tu amènes ce petit pour qu’on le tue aussi ? »  Sans broncher elle a répondu : « Oui ». Quelques instants plus tard, j’ai entendu des cris. Je me suis faufilé dans la cour, parce que je pensais que c’était une alerte signifiant qu’on venait « en finir avec moi. Je me suis dit : « Je vais courir. Au moins, ils me tueront pendant ma tentative de fuite. Et si j’ai de la chance, je vais les semer, même si ce n’est pas facile. » J’ai quitté la cour et j’ai bifurqué derrière les maisons les plus proches. Je suis immédiatement tombé dans l’embuscade des Interahamwe. L’un d’eux était le cousin à qui ma mère voulait me livrer. « Il était allongé par terre et avait été transpercé par une lance dans le torse. Lui aussi avait atteint avec sa lance le ventre de l’homme allongé à côté de lui. Les intestins de ce dernier étaient visibles et les deux combattants bien morts. Il était évident qu’ils s’étaient battus après avoir volé et ingurgité de la liqueur de banane. J’ai immédiatement eu le pressentiment que je n’allais plus mourir tout de suite. »

Ce paragraphe correspond à celui que la CNLG a publié sur Twitter. A la défense de la CNLG, dans une vidéo sur Youtube, Albert raconte les évènements tels que la CNLG les a publié et non pas comme il les a écrit.

Constatant la mort de ses bourreaux, Albert est retourné appeler sa mère qui a réagi comme suit : «Une fois sur place, choquée par ce spectacle, elle a éclaté en sanglots. Ma mère a alors dit à ma cousine qui nous accompagnait de me prendre avec elle et de m’emmener à un autre exécuteur. Nous sommes donc partis tous les deux et ma mère est restée là, à pleurer son cousin meurtrier, alors qu’elle n’avait pas pleuré ses propres fils. ». Sur le chemin vers sa mort Albert a supplié sa cousine de ne pas le faire tuer et elle a fini par l’abandonner sur le chemin car elle a eu peur que les Interahamwe ne la violent. Le Jeune Albert est parti se cacher dans l’église de Kabarondo et y est resté quelques jours jusqu’ ’à l’attaque de l’église. (Note personnelle : l’attaque a eu lieu le 13 avril 1994). Après l’attaque de l’église, il est parti se cacher dans la foret « Je me nourrissait principalement des bananes ou de patates douces crues. Telle fut ma vie pendant environs trois mois, jusqu’à l’arrivée de l’armée du FPR Inkotanyi. ». Ce passage est très important pour moi, pour la comprehension de la qualité des souvenirs d’Albert Nsengimana. En effet la prise de Kabarondo par le FPR Inkotanyi a eu lieu le 20 Avril 1994. Il s’est donc caché dans la foret sur une durée d’environ une semaine.

Un extrait  qui me semble pratiquement irréalisable : âmes sensibles s’abstenir 

« Dans notre région, certains Interahamwe, après avoir tué des Tutsis, les saignaient, recueillaient leur sang dans un umuvure, une sorte de bassin en bois, et le buvaient avidement, tels des vampires. Ils mangeaient aussi le foie de leurs victimes en affirmant vouloir à tout prix connaître le goût de la chair des Tutsis, en particulier celui de cette partie de leurs entrailles.Tel est le niveau de sauvagerie bestiale que l’on a pu constater. Les gens étaient devenus fous et se livraient au cannibalisme. Les Interahamwe avaient perdu toute humanité. »

Après le Génocide

Une grande partie du livre est dédié à la vie d’Albert après le génocide. Les frères de son père sont revenus au village : « Quelque temps après, les petits frères de mon père (des Tutsis) sont venus au village dans l’espoir d’y retrouver des survivants de leur famille. Ils habitaient Kigali, la capitale, lorsque le génocide a éclaté. Ils y avaient emménagé dans leur jeunesse et y avaient fondé leurs familles. Au retour, ils ont trouvé les ruines de leurs maisons d’enfance. Après avoir interrogé des gens  du village sur le sort de leur famille, ils ont fini par apprendre que le fils et la femme de leur grand frère André avaient survécu et qu’elle serait peut-être au courant de ce qui s’était passé

La mère d’Albert ne répondait pas aux questions de ses beaux-frères, et c’est Albert qui a tout raconté. Ils vont l’obliger d’aller raconter son témoignage auprès des autorités. Sans qu’il ne l’ait voulu, il a envoyé sa mère en prison. Cet acte a provoqué en lui un sentiment de culpabilité.  Aux horreurs du génocide qu’il avait survécu va s’ajouter cette culpabilité. Il ne pourra pas vivre dans la famille de ses oncles et va entamer une vie d’enfant de rue, pendant deux ans.  Un extrait de sa vie de rue ( âmes sensibles s’abstenir) :   « Parmi nous, il y avait aussi des filles. Elles étaient très sales et droguées en permanence, couchaient avec des vagabonds ou bien étaient violées et tombaient donc enceintes. Certaines d’entre elles faisaient des fausses couches, à cause du manque d’hygiène et des mauvaises conditions de vie. D’autres provoquaient leur avortement ou enfantaient dans des conditions sauvages. Il était difficile de concevoir quelle vie les bébés nés dans un tel contexte risquaient de connaître. Il y a des filles qui abandonnaient leur poupon, comme ça, au bord de la rue en se disant que de bons Samaritains le recueilleraient. D’autres se débarrassaient de leurs petits dans les poubelles où ils mouraient. ».

Albert est un vrai combattant, qui a réussi à se ressaisir, il a découvert l’existence de FARG (fond qui venait en aide aux rescapés du génocide). Il a repris ses études avec beaucoup de difficultés, les séquelles des horreurs vécues provoquaient chez lui un comportement auto  destructeur.

Quelques extraits de sa vie après :

  • Le jour où il a failli se suicider : « « Tu n’as pas honte ? Tu es le seul survivant de ta famille. Tu n’as ni père, ni mère, ni grands, ni petits frères ! Ils ont souffert, sont morts dans d’affreuses circonstances, et toi, tu as survécu. Tu es leur seul représentant sur terre. Si tu te suicides, ta famille aura définitivement disparu. Rappelle-toi l’amour que ton père avait pour toi. Les membres de ta famille peuvent te voir d’où ils se trouvent. Même s’ils sont morts maintenant, lorsqu’ils étaient de ce monde, ils passaient probablement leur temps à intercéder pour ta survie auprès de Dieu. Continue de vivre, parce que si tu choisis la mort, tu n’auras été qu’un lâche. Tu n’iras pas au Ciel et même ton père sera déçu par ta conduite.  ». Cette phrase, sa pensée, va lui donner sa raison de vivre.
  • Comme tout rescapé, la période de commémoration est difficile à vivre pour lui : « Le pire moment de l’année a toujours été pour moi la période de commémoration du génocide, en avril. Je ressentais une tristesse tellement grande que je devais m’isoler pour pleurer. J’ai déjà parlé de mes nuits blanches. J’ai continué à vivre malgré ces horribles souvenirs, qui me poursuivent d’ailleurs encore aujourd’hui. »
  • La rencontre avec Helene Cyr : «  Une Canadienne. Je ne le savais pas encore, mais elle allait changer à jamais le cours de ma vie. Hélène Cyr, qui était alors à Montréal, a elle aussi lu l’article et elle a décidé de m’aider. Dans son message, elle indiquait à Bosco vouloir me rencontrer lors de son retour au Rwanda. Un rendez-vous a été pris. Nous nous sommes rencontrés fin août 2011. J’étais un peu nerveux, mais content. Hélène m’a demandé de quoi je vivais et je lui ai expliqué que ce n’était pas une sinécure. Lorsqu’elle m’a demandé comment elle pourrait m’aider, je lui ai répondu que mon rêve était de trouver un un endroit où vivre, où me reposer et qui me permette de me relever. Elle m’a dit : « J’ai ouvert une école à Kayonza. Si tu veux, tu peux aller t’y installer, le temps de te remettre sur les rails et« et, après, tu choisiras ce que tu veux faire. » »
  • Un être humain et aimé pour la première fois : « On m’a donné une chambre individuelle, ce qui ne m’était jamais arrivé. J’étais si heureux. Hélène a tout fait pour me faciliter la vie. Je me sentais traité comme un véritable être humain. « Je me sentais traité comme un véritable être humain. Je réalisais peu à peu qu’il était possible que quelqu’un prenne soin de moi. Avant de la rencontrer, j’étouffais dans ma solitude, parce qu’aussi … »
  • Les orphelins et rescapés du génocide abandonnés à leur sort : « Lorsque je me rendais dans mon village natal, qui se trouvait relativement proche de la Kayonza Vocational School, je retrouvais des jeunes de mon âge, surtout des survivants du génocide, que je connaissais et je me rendais compte combien j’étais différent. Certains avaient perdu l’esprit à la suite des sévices et des frayeurs qu’ils avaient subis. Une fois la terreur passée,  n’ayant personne pour prendre soin d’eux, beaucoup s’étaient jetés dans l’enfer des stupéfiants. Il y en avait un qui s’appelait Sept, un camarade d’école primaire. L’état dans lequel il se trouvait était désolant. Il était sale comme un peigne et en haillons. En m’apercevant un jour, il m’a dit, non sans un air réprobateur : « Toi, tu es devenu riche… » Il m’a demandé cinq cents francs, je lui ai donnés. Mais j’avais envie de pleurer de le voir ainsi et me suis dit que j’aurais très bien pu devenir le pauvre diable qu’il était si j’étais resté sur la mauvaise pente. » 

Le reste du livre est une partie à la gloire du nouveau Rwanda et des nouvelles autorités. Quant à moi, je vais finir ce texte avec deux citations :

« Ceci n’est aucunement un livre d’histoire. Par conséquent, les faits, commentaires, opinions sont ceux d’un jeune homme qui n’est ni politicien ni historien. Albert nous raconte le passé et sa vision de l’avenir avec ses connaissances, ses points de vue, ses interprétations d’aujourd’hui » Helene Cyr

« Cela démontre que si le peuple n’est pas éduqué, le gouvernement peut l’amener à faire n’importe quoi. »  Albert Nsengimana

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