En 1987, Emily Kingsley a écrit un beau texte qui décrit l’expérience d’être parent d’un enfant handicapé. Ce beau texte m’a inspiré un autre que je dédie à tous les gens qui portent un handicap invisible ou ont une autre forme d’intelligence.
Perdus en Italie
L’Italie est une destination de rêve, tout y est beau : les paysages, les constructions, la gastronomie, les glaces, les musées. Tout le monde apprécie d’y aller. Notre entourage s’est préparé à nous y emmener, il a acheté les guides, a appris quelques mots en italien…Tout est mis en place pour que notre séjour soit agréable.
Cependant une fois en Italie, tout ne se passe pas comme prévu, nous n’apprécions rien, les paysages nous agressent, les constructions nous étouffent, la cuisine italienne est fade, tous nos efforts pour apprendre l’italien ne sont pas récompensés. Pour couronner le tout, nous sommes allergiques aux glaces.
Notre entourage s’agace et nous perçoit comme des enfants capricieux, égocentriques, tous leurs efforts pour nous faire plaisirs sont vains. Nous comprenons alors que pour notre survie il faut faire semblant. Semblant d’aimer les paysages, semblant d’apprécier les constructions… sans réussir à apprendre l’italien nous faisons illusion en plaçant quelques mots par ici et par là, nous nous efforçons à manger la glace tout en savant que nous allons tomber malade après.
Les jours passent et nous finissons par croiser des hollandais, pour les plus chanceux cela se passera au début de leur séjour, pour les moins chanceux cela n’arrivera pas. Ils nous parlent de la Hollande, tout y est différent, le pays semble plus calme que l’Italie. Au bout des quelques minutes nous parlons spontanément quelques mots en hollandais. Nous savons que nous n’aurons pas besoin des guides pour nous y repérer.
A partir de cette rencontre nous comprenons que l’Italie n’est pas faite pour nous. Ce pays magique est parfait pour tout le monde mais pas pour nous. Nous commençons par nous en vouloir mais pas très longtemps. C’est un pas de géant et une fierté d’avoir tenu aussi longtemps dans cet environnement.
Faire le grand écart entre la Hollande et l’Italie est fatiguant et explique nos migraines, nos tensions et notre sentiment d’être perdus.
On décide alors de partir pour la Hollande, cet endroit qui peut sembler maussade pour le plus grand nombre mais qui reste pour nous une destination de rêve. Nous appréhendons la nouveauté, le fait de repartir à zéro mais nous sommes déterminés à commencer les premiers jours du reste de notre vie.
Dans ce reste de notre vie, même en Hollande nous rencontrerons les italiens. Parfois ils nous prendront pour des Italiens suscitant des incompréhensions, la principale difficulté du reste de notre vie sera cette incompréhension. Si on focalise beaucoup sur cette incompréhension on risque de passer à côté des avantages de vivre en Hollande. En effet le reste de notre vie est une vie apaisée.
“Bienvenue en Hollande” –Par Emily Perl Kingsley, 1987
On me demande souvent de décrire mon vécu en tant que mère d’un enfant handicapé, afin d’aider les gens qui ne connaissent pas cette expérience unique, à comprendre, à imaginer comment ce serait. C’est un peu comme ceci…
Attendre un enfant, c’est comme organiser un grand voyage fabuleux – en Italie. Vous achetez des tas de guides touristiques, vous faites des projets magnifiques : le Colisée, le David de Michel-Ange, les gondoles à Venise. Vous apprenez quelques phrases en Italien. Tout cela est très stimulant. Après des mois d’attente impatiente, le jour J arrive enfin. Vous faites vos bagages et vous partez….
Quelques heures plus tard, l’avion atterrit. L’hôtesse de l’air entre et dit : « Bienvenue en Hollande ! ». « En Hollande ?!… », vous dites, « …Mais je m’étais inscrite pour l’Italie. Je suis censée être en Italie. Toute ma vie, j’ai rêvé d’aller en Italie ! ». Mais il y a eu un changement dans le plan de vol. Ils ont atterri en Hollande et il faudra bien y rester. Heureusement, on ne vous a pas emmené dans un lieu horrible, dégoûtant et sale, infesté de famine et de maladies.
C’est simplement un endroit différent. Il vous faut donc aller acheter de nouveaux guides. Et apprendre une nouvelle langue. Et cela vous permet de rencontrer des personnes que vous n’auriez jamais rencontrées autrement.
C’est simplement un endroit différent. Le rythme de vie y est plus calme qu’en Italie. C’est moins exubérant que l’Italie.
Mais après y avoir séjourné quelque temps, vous retenez votre respiration, regardez autour de vous… et vous commencez à vous apercevoir qu’en Hollande il y a des moulins à vent, des tulipes, et même des Rembrandt.
Mais tous ceux que vous connaissez sont affairés à aller en Italie et en revenir, et tous se vantent des moments merveilleux qu’ils y ont passé. Et pour le restant de votre vie, vous direz : « Oui, c’est là que je devais aller moi aussi. C’est ce que j’avais prévu. »
Et cette douleur ne s’en ira jamais, jamais… parce que la perte de ce rêve est une perte très significative.
Mais si vous passez le reste de votre vie à pleurer le fait que vous ne soyez pas allés en Italie, vous ne serez jamais libre d’apprécier toutes les choses belles et spéciales de la Hollande.