Rwanda : Dépasser les ethnies, une équation difficile à résoudre mais utile pour la réconciliation véritable

Un jour après une longue discussion avec une personne d’une intelligence hors normes, notre conclusion a été que nous devrions mettre sur papier notre discussion. Après de nombreux mois, le temps de réflexion libre, le temps de comprendre cette citation de Gandhi : « A l’ instant où l’esclave décide qu’il ne sera plus esclave, ses chaînes tombent, j’ai eu le courage de le faire.

Les exemples des pièges ethniques contemporains

A l’aube de la période de commémoration du génocide qui a eu lieu au Rwanda du 07 au 19 juillet 1994, dans lequel les Tutsi ont été tués du fait de l’appartenance à leur ethnie et les Hutu et d’autres personnes qui se sont opposés au génocide ont été également tués.

26 ans après cet évènement tragique la ségrégation mémorielle est réelle, à en croire le narratif officiel du régime du FPR ou autres hypothèses d’autres organisations, les victimes de ce génocide issues dans autres ethnies ne seraient que des victimes d’autres circonstances.

Ces narratifs ont un dénominateur commun, celui de trier les victimes du génocide sur la base ethnique! Le paradoxe ici consiste à séparer sur papier ce qui était impossible à faire en 1994 lorsque le bourreau sur une même journée, a éliminé une famille tutsie à 10h et une famille hutue dans la foulée à 11h.  Quoiqu’il en soit ces familles sont unies dans l’Histoire par cette horreur qui leur arrivée.

Un autre exemple qui a retenu mon attention est les mots tenus sur les réseaux sociaux

fin 2019 à l’occasion du procès pour les crimes de génocide en Belgique. Une partie civile est le fils de Joseph Mpendwanzi, un Hutu tué en  juin 1994 à Gitarama. Il a été invectivé car c’était «un Hutu témoignant contre un autre Hutu», comme si les victimes hutues de ce génocide n’avaient pas droit à la justice.

Les exemples cités ci-dessus sont liées au génocide mais les pièges des narratifs ségrégationnistes sur la base ethnique existent aussi pour les autres crimes qui ont emporté les vies rwandaises.

Ce qui lie tous ces exemples est l’attente qu’une partie des Rwandais, qui voient leurs concitoyens ou tout autre évènement au travers des ethnies attendent de leurs compatriotes. Le vocabulaire de la période ayant précédé le génocide semble avoir des belles années devant lui : « traitre à l’ethnie », « solidarité ethnique » … ou de nouveaux concepts qui enferment les individus dans leurs supposées ethnies : « tu n’es pas de mon ethnie, je te parle comme un geste de réconciliation » …

C’est possible de dépasser les ethnies ?

Partant du principe que l’on ne peut pas réunir les vivants si l’on fait le tri parmi les morts, que les Rwandais sont égaux en droit devant l’Etat rwandais, que tous les bourreaux sont les mêmes et que toutes les victimes ont droit à la même considération, on arrive au triste constat qu’au Rwanda nous sommes loin d’avoir atteint cet état d’égalité de tous les Rwandais.  La ségrégation ethnique et étatique au Rwanda est le premier frein à l’unité des Rwandais.  En effet dans un pays où les Tutsi et les Hutu ont été tués du fait de leur appartenance à leur ethnie, reconnaitre une seule partie des faits revient à pousser les victimes oubliées à tenir à l’appartenance ethnique, hutue dans ce cas, dans l’espoir que les injustices qu’elles ont subies soient un jour reconnues, de même cela renforce l’appartenance ethnique de ceux de l’ethnie privilégiée, tutsie dans ce cas, avec la volonté de maintenir leurs privilèges le plus longtemps possible.

L’équation presque impossible consister à dépasser les ethnies pour ne pas tomber dans les piégés évoqués ci-haut  pour éviter leur instrumentalisation par ceux qui souhaitent les utiliser pour obtenir l’adhésion à leurs idées et reconnaitre toutes les injustices que les Rwandais ont subies sur la base de leur ethnie.

Dépasser les ethnies pour l’avenir, la confiance et non l’appréhension

« Le jour où vous avez passé des nuits blanches sur une action, sans aucune rémunération et pour l’intérêt commun, si des personnes bien pensantes collent une étiquette hutue ou tutsie sur votre action, ce jour-là sera peut-être le jour où vous réaliserez qu’il est urgent de dépasser ces ethnies pour vous maintenir ainsi que vos œuvres « au-dessus de la mêlée » Romain Rolland (Au-dessus de la haine).

Dépasser les ethnies c’est une réaffirmation de l’identité individuelle à plusieurs composantes (genre, bi nationalité, taille, couleur de peau, ce que l’on a considéré comme ethnie…). C’est prendre conscience que l’origine de ces foutues ethnies est un des plus grands mystères rwandais, alors pourquoi s’encombrer avec ? Pourquoi ne pas les laisser à ceux qui les ont inventées en adoptant le vocabulaire de ceux qui en parlent au passé ? « Ce que l’on a considère comme telle ou telle ethnie ». Cette proposition avisée permet aussi de pouvoir évoquer les injustices rwandaises faites sur la base ce que l’on a considéré comme les ethnies et ainsi éviter qu’elles ne tombent dans l’oubli !

Le Chemin vers la réconciliation passe par la reconnaissance de toutes les injustices qui ont eu lieu au Rwanda en vue de corriger leur héritage (et corriger le passé) ! C’est la définition de la réconciliation de Nelson Mandela : « travailler ensemble pour corriger l’héritage des injustices du passé ».

« Dépasser les ethnies n’est pas un slogan, c’est le résultat d’un long processus »

Le postulat de cette opinion suivante diffère du postulat de ce qui précède tout en arrivant à la même conclusion :

 « Les ethnies vont rester, faire semblant qu’elles n’existent plus n’est pas une solution, on peut le constater. Les ethnies doivent rester et nous devons être fiers d’en faire partie tout en respectant et en vivant bien avec ceux qui ne font pas partie de notre ethnie. Vivre dans l’illusion que les ethnies n’existent plus est faire un pas dans le mensonge du FPR (Ndi Umunyarwanda).

Dépasser les ethnies n’est pas un acte ni un objectif que chacun peut atteindre. Ce n’est pas non plus un slogan que l’on peut scander et espérer que cela devienne réalité. Dépasser les ethnies c’est respecter celui qui n’appartient pas à notre ethnie, considérer qu’il a les mêmes droits que nous et ce sur tous les sujets. Celui qui arrive à ce résultat peut prétendre avoir dépassé les ethnies. D’ailleurs on dépasse les ethnies dans les actions et non dans les paroles. 

Celui qui scande avoir dépassé les ethnies est comparable à un homme qui dirait avoir arrêté de frapper sa femme, à celui qui dira avoir arrêté de voler, de tuer… cela n’a pas de sens, on n’est pas supposé se comporter de la sorte en premier lieu ». Kayitsinga Wa Mushayija

Effectivement dépasser les ethnies est avant tout un résultat d’un long processus pour changer notre logiciel de pensée, programmé dans le pays des milles conflits ethniques.

Alice Mutikeys ©Impanda Prod

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