Témoignage : Ils ont rejoint le FPR pour combattre à ses côtés, il les a tués : Justice pour eux (1990-1994)

Par Kayitsinga wa mushayija

La reconnaissance de toutes les victimes rwandaises et la justice pour elles sont primordiales pour la réconciliation rwandaise. On sait que le FPR a tué une partie de jeunes qui rejoignait ses troupes pour libérer le Rwanda, néanmoins on en ignore l’ampleur, à titre personnel je ne savais pas que cette pratique ait été courante entre 1990 et 1994. Ce billet est la traduction d’un post Facebook de Kayitsinga Wa Mushayija, respecté pour ses analyses pertinentes et ses positions impartiales (auteur du concept du FPRND : Ni le FPR, ni le MRND). Le post est enrichi des réponses qu’il m’a fournies pour parfaire ma compréhension et pallier mon ignorance sur le sujet. 

Les jeunes qui avaient rejoint le front du FPR entre 1990 et 1994, qui ont été massacrés par la méthode « agafuni » (illustration par la photo) ne sont jamais évoqués. C’est triste car l’ on pourrait croire qu’ils n’ont pas existé pourtant ils sont plus nombreux que l’on ne peut le penser. Il est bien connu que les victimes étaient principalement des francophones, en particulier ceux en provenance du Rwanda et du Burundi.

A ce jour :

Les Tutsis massacrés lors du génocide de 1994 sont reconnus, leurs bourreaux (une grande majorité) ont été traduits en justice et ils ont droit à la mémoire.

Les victimes hutues des crimes de masse du FPR (génocide ???) n’ont pas été évoquées pendant de nombreuses années. Toutefois depuis 2003 elles sont évoquées, il y a des témoignages, des rapports ont été publiés. Il devient pratiquement impossible d’évoquer les victimes du génocide perpétré contre les Tutsi sans qu’une voix ne se lève pour rappeler les crimes de masse commis contre les Hutu.

Les plus navrants sont les jeunes hommes qui ont été assassinés au moyen de l’agafuni, alors qu’ils étaient partis rejoindre le front pour aider le FPR. Ils ont été ciblés pour diverses raisons, notamment:

  • Suspicion de collaboration avec le gouvernement de Habyarimana (on les appelait les « Jean Claude » [NDR référence au prénom chrétien francophone] ou d’avoir mal ou pas répondu à certaines questions. Cela arrivait souvent au moment de l’entrée dans la rébellion lors  du « screening », « la sélection ». On demandait aux futures recrues leurs origines familiales  et si elles avaient des liens avec les dignitaires du régime de Habyarimana, elles étaient tués sur le coup. Aussi on demandait à ces jeunes ce qui les motivait pour rejoindre l’armée, les extrémistes répondaient qu’ils venaient se venger sur les Hutu, si par malchance ils étaient tombés sur un soldat Hutu, ils y passaient.  On pouvait demandait à ces jeunes s’ils étaient prêts à tuer la population, s’ils répondaient non et qu’ils étaient en face des soldats tueurs, ils y passaient aussi.
  • Éducation: on avait peur qu’à la prise du pouvoir les intellectuels  héritent des grands postes au détriment de ceux qui n’avaient pas fait des longues études, ces derniers étaient alors tués. La question sur le niveau d’études était posée en utilisant l’argument que le FPR avait besoin des intellectuels dans l’armée et les naïfs répondaient en racontant tout leur parcours scolaire, celui qui disait avoir fait des études universitaires était tué sur le coup!
  • Evoquer ou poser des questions illégales (tabou) : ces sujets ou question sont par exemples les circonstances de la mort de Fred Rwigema, ou celle d’une autre personne. Questionner sur le plafond de verre imposé aux francophones ou tout autre sujet considéré comme gênant.
  • Faiblesse: fatigue sur le front, ne pas réussir à porter les charges, la faim etc …
  • Etre pris en flagrant délit de fuite.
  • Rejeter de l’injustice  et rejeter  le travail forcé
  • Fausses accusations ou autre chose…
Illustration de la méthode Agafuni

Au-delà de la phase de sélection des nouvelles recrues, tout au long de la guerre, dans toutes les phases, il y avait des personnes chargées des renseignements qui interrogeaient les soldats, les moins intelligents donnaient des « fausses réponses » et payaient de leur vie.

Ces victimes ne sont jamais évoquées comme si elles n’avaient jamais existé. Il est important et indispensable de savoir :

  • Leur nombre réel,
  • Ceux qui donnaient les ordres de les tuer et ceux qui recevaient les rapports des exécutions,
  • Toute la vérité sur ces atrocités pour qu’un jour la justice soit rendue.

Une partie de ceux qui avaient pu échapper à ces massacres, retournait chez elle au Burundi ou au Congo,  avec des informations sur la façon dont ils étaient tués, sur leur maltraitance et comment ils étaient victimes d’avoir fait des études. Cela traumatisait leurs familles au point où au Burundi, en début de 1993 dans la communauté locale des Tutsis rwandais qui avaient envoyé un grand nombre d’enfants aux FPR-Inkotanyi, il y a eu un semblant de  révolte après avoir découvert les assassinats de leurs enfants, ils ont appelé Kagame et lui ont fait part de leurs inquiétudes. Ils lui ont dit que si le FPR n’avait pas besoin de leurs enfants, il n’avait qu’à les leur renvoyer au lieu de les tuer et qu’ils allaient arrêter de donner leur contribution si ces méfaits ne s’arrêtaient pas.

Kagame, qui était accompagné de Tito Rutaremara, hypocrite comme d’habitude et avec  une grande gêne a déclaré aux personnes présentes (y compris Bihozagara et Polisi Denis.) qu’il n’était pas au courant … mais qu’il allait se renseigner et poursuivre l’affaire, que si cela s’avérait exacte les auteurs seront punis.

Tito Rutaremara, un des idéologues du FPR, avec Kagame : leur place est certainement devant une justice internationale qu’à la tête d’un pays. Le Rwanda sera un jour le témoin des tous les méfaits que des extrémistes au pouvoir peuvent faire

Toutefois, après cette rencontre, tuer constamment les gens par la méthode Agafuni a baissé de fréquence de telle sorte que les gens ont pu respirer mais cela ne s’est pas complètement arrêté. En tout cas, cette rencontre de Bujumbura a été fructueuse.

Il est indispensable que cette jeunesse qui a perdu la vie dans ces circonstances ne soit pas oubliée pour qu’elle ait droit à la justice. Ces jeunes étaient des Rwandais comme tout le monde et s’étaient impliqués dans la lutte pour leurs droits.

Hors post Facebook :

Comment cela se fait-il qu’il y avait des soldats Hutu au sein du FPR ?

La propagande des politiques induise beaucoup de gens en erreur, en 1959 il y avait des Hutu parmi les réfugies. Beaucoup de chefs [NDR rang dans le pouvoir monarchique] sont partis avec leurs serviteurs et se sont installés ensemble dans les camps des refugiés en Ouganda. Ces Hutu ont évolué avec les autres réfugiés, leurs enfants sont nés en Ouganda et ont rejoint l’armée ougandaise pour aider Museveni, par la suite ils ont rejoint mes militaires du FPR. Ce sont eux que les recrues tutsies en provenance du Rwanda pouvaient prendre pour des Tutsi (parfois en se basant sur leur morphologie) car pour eux tous les Inkotanyi qui venaient de l’exil ne pouvaient être que des Tutsi. Parmi ces Hutu dans le FPR, on peut citer le général Fred Ibingira, l’IGP Gasana Emmanuel, son grand frère Claver Gatete, le géneral Muhire…

Kayitsinga Wa Mushayija

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