Panya roads, ces sentiers sans fin

Un plongeon en 1959

Il me semble important, quand on parle des réfugiés rwandais, de commencer en 1959. En effet la révolution de 1959 a amené une partie des Rwandais à s’exiler dans les pays voisins du Rwanda.  Je ne connais pas leur histoire pour bien en parler, mais je suis en train de lire un livre d’un ancien réfugié en Ouganda. Sa famille était passée par le Burundi, où elle a vécu dans des conditions précaires. Quelques années plus tard ils ont quitté le Burundi pour l’Ouganda. Une fois là-bas ils ont connu des années d’accalmie. Les enfants ne pouvaient pas aller à l’école, ils élevaient des vaches et échangeaient  du lait contre le savon, le sucre, les habits… Au plus fort de la tyrannie et de la dictature d’Idi Amin Dada, il a commencé  en s’en prendre aux réfugiés rwandais, ils étaient menacés d’un retour forcé au Rwanda. (J’en suis là dans ma lecture, je souhaitais néanmoins leur consacrer quelques lignes).

Je me suis sentie très proche ce cet enfant réfugié, la souffrance et la peur de sa famille sont réelles.  Je vois dans le fait d’avoir été forcée à devenir réfugiée à mon tour en 1994, une opportunité pour comprendre le chemin long que mes compatriotes avaient parcouru de 1959 à 1994. Il y a toujour un aspect positif dans chaque situation.  L’ironie de la vie a fait que le personnage de mon livre est redevenu réfugié politique. Il est né réfugié, a combattu pour rentrer au Rwanda, ne pouvant pas supporter le caractère répressif du régime en place, il est de nouveau réfugié.

Un  plongeon en Juillet 1994

Le 21 Juillet 1994, France 2 diffuse un reportage sur l’épidémie du choléra qui faisait rage à la frontière entre le Rwanda et le Zaïre.

Dans le reportage,  pour commencer le journaliste évoquait  l’ampleur de la situation humanitaire qui n’était  pas descriptible.  «Les organisations humanitaires tentent de faire face au Rwanda, mais l’ampleur du drame est telle que les responsables qui travaillent sur le terrain reconnaissent leur impuissance. A la barbarie de la guerre, il faut maintenant ajouter le choléra ». Juillet 1994 a marqué le début de l’épisode de choléra, l’épidémie était  foudroyante et avait fait des milliers des morts. Un médecin à Goma avait déclaré à France 2 « A chaque minute qui passe un refugié meurt ».

Le téléspectateur était emporté devant  un centre des Médecins Sans Frontières : « Des centaines des mourants arrivent au centre », ils étaient  transportés dans des autobus entiers et venaient de tous les horizons. Les zaïrois étaient touchés aussi.  Pour faire face à cette épidémie ils étaient deux médecins et trois infirmières expatriés et étaient  assistés par des refugiés eux-mêmes ou des zaïrois.

Une docteur s’exprimait sur le micro de France 2 : « On est submergés, il y a beaucoup  de cas,  il y a beaucoup du monde qui afflue encore. Sur le chemin quand on est venus ce matin on a ramassé 800 corps que l’on a découverts sur les bords de la route. Ce matin quand nous sommes arrivés ici il y avait déjà une centaine des corps. Quand on va repasser pour prendre tous les  corps des gens décédés  il y en aura encore une centaine. De toutes les façons réhydrater les gens avec le personnel que l’on ne connait pas que l’on engage comme cela… on est dépassés complètement ».  Face à l’ampleur de l’épidémie et le manque des moyens, elle avait été jusqu’à déclarer  que leur présence avait un impact faible. Elle espérait sauver quelques personnes tout de même et  était  prête à revenir au lendemain faire face à deux fois plus des morts.

Cet épisode de cholera a emporté des milliers des réfugiés rwandais. « La période d’incubation est de 3 jours et l’immunité est très faible » avait dit la docteure.  L’eau potable manquait et cela conduisait  les réfugiés à boire l’eau souillée du lac Kivu ou celle trouvée sur le chemin. Impuissante la docteur avait conclu « Des toutes les façons cela ne change absolument rien ».

Un chapitre dans la mémoire de notre pays ?

« Un mort par minute » n’est pas rien.  Le 21 juillet 1994 l’Histoire et la mémoire  de ces tristes épisodes ne sont pas encore politisées. Le vocabulaire utilisé dans le reportage est correct « la barbarie de la guerre », « des milliers des morts », « des réfugiés ». L’empathie n’est pas  sélective, ces réfugiés n’étaient pas encore assimilés à des génocidaires, leur drame pouvait encore être raconté. Personne ne s’en est  pris aux journalistes de France 2 pour cette diffusion. Ce reportage n’a pas assassiné la mémoire des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.  

24 ans après, quand on parle de ces morts, on deviendrait négationniste. Je pose la question en quoi parler de ces évènements qui ont lieu au Zaïre est nier ce qui s’est passé au Rwanda ?

Je vais vous raconter une histoire, pour protéger les personnes, je suis obligée de brouiller les pistes pour ne pas que l’on puisse les  identifier. C’est l’histoire d’un enfant  issu d’une famille mixte un de ses parents est hutu et l’autre est tutsi. Durant le génocide en 1994, il a perdu ses oncles ses cousins et ses tantes. Arrivés au Zaïre, une partie de ses oncles, de ses tantes et de ses cousins a été emprtée par le choléra en 1994 et plus tard sous les balles de l’AFDL/APR en 1996 quelques tantes et cousins ont péri  aussi (dans la première guerre au Congo).

Aujourd’hui cet enfant est devenu adulte, quand il  évoque ses oncles, ses tantes et ses  cousins qui sont morts en RDC peut-on dire qu’il est en train d’assassiner la mémoire de ses oncles, ses tantes, ses cousins tués durant le génocide ?

Le retour dans le présent

Ci-dessous un extrait d’un article publié ce début  février 2019 sur jambonews.net :

http://www.jambonews.net/actualites/20190207-rwanda-rdc-refugies-rwandais-de-nouveau-massacres/

« Sous les balles et les obus des assaillants, les réfugiés ont dû quitter leurs habitations de fortune précipitamment, laissant derrière eux leurs biens, leurs plantations et leurs cultures. Ceux de Faringa ont également dû subir l’incendie volontaire de leurs abris. C’est donc démunis que ces réfugiés rwandais se trouvent comme en 1996-1997 sur le chemin de l’exode. Les dernières informations en notre possession font état de réfugiés apeurés, fatigués, et manquant de nourriture et de soins de première nécessité. »

Il est frappant à quel point ce texte aurait pu être écrit à l’identique en 1994, en 1996… comme si toutes ces épisodes sont insignifiantes dans l’Histoire du Rwanda.

Le nombre des réfugiés rwandais  tués qui circule est de 168 morts (les attaques contre eux-continuent).  Ce chiffre peut paraitre dérisoire eu égard le passé dramatique du Rwanda. Pour ma part,  une seule  personne tuée est déjà de trop, dans le cas particulier des Rwandais, cela veut dire que le compteur continue de tourner.


J’aimerais que les réfugiés de 1959 puissent voir dans leur histoire une opportunité pour comprendre les réfugiés rwandais de la RDC, les réfugiés rwandais d’aujourd’hui …la peur que leur famille ou eux aient ressentie à l’évocation d’ un retour forcé au Rwanda est la même peur que leurs compatriotes ressentent aujourd’hui.

Un plongeon dans la culture

En principe les morts ont une place particulière dans la société rwandaise, traditionnellement ils étaient honorés et respectés. Il fut un temps où on mettait de côté une boisson, de la nourriture pour eux, pour partager avec eux, pour les convier à notre table.  De nos jours, on  met les morts de côtés et on n’hésite pas à salir leur mémoire.

Il ne suffit pas de prétendre que tout va bien pour que cela aille. Il ne suffit pas de dire que l’on est panafricain et le devenir. Je ne suis pas panafricaine et quand je vois ceux qui clament l’être, je parle de ceux qui ne respectent pas leur culture rwandaise en déshonorant les morts, je suis fière de me dire humaniste.  

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