Les Ubalijoro de 2019

Si Ubalijoro avait vraiment existé ? Et si c’était Mukurambere qui lui avait écrit une lettre.

Et si les Ubalijoro étaient toujours d’actualité. Au travers d’une réponse sortie de mon imagination tout en s’inspirant des faits divers réels, je rends hommage un grand artiste rwandais Karemera Rodrigue. Ubalijoro est une chanson qui me parle beaucoup, c’est l’une de mes chansons rwandaises préférées.

Muvandimwe wanjye Ubalijoro, uraho uracyakomaho ? (texte original de la chanson)

« Mon cher frère Ubalijoro, comment vas-tu, es-tu toujours en vie ? » (la traduction)

Mon cher Mukurambere, j’écris ces notes pour tes donner des nouvelles. Je ne suis pas exactement ubalijoro, du moins pas celui à qui tu as écrit. Je suis Ubalijoro de 2019 et d’ailleurs nous sommes aussi nombreux que vous étiez, ce qui m’attriste est qu’une partie des Ubalijoro de ton époque sont devenus les Ubalijoro de 2019. Je sais que depuis tu as quitté ce monde, tu sais mieux que moi ce que je vais te raconter, tu es avec nous, tu nous vois, tu sais que nous allons bien et même quand cela ne va pas nous trouvons les moyens d’avancer. (la réponse)

Natwe ino turaho, uretse ko tutazi agakuru kawe

« De notre côté, nous allons bien ici à part que nous n’avons pas de tes nouvelles ? »

Voilà c’est chose faite 😊, depuis je sais que vous avez dû faire un long chemin, les tragédies se sont abattues sur vous.  Dieu passe -t-il toujours la nuit au Rwanda ou est-il parti définitivement en 1994 ? Pourquoi aux blessures physiques se sont ajoutées des blessures interne ? Je doute fort que vous allez bien. Tout le monde e parle avec méfiance et quand il se parle. Allez-vous bien vraiment ?

Uzagire ugaruke Ubalijoro, twese uko tuli turagukumbuye.

« Pourrais-tu revenir Ubalijoro, tu nous manques tous ici ».

Vous me manquez énormément aussi, je reviendrai au Rwanda. Je viendrai quand le Rwanda dont je rêve aura vu le jour. Il est pourtant si simple : un pays avec un peuple uni. Je sais que les ethnies ne sont plus présentes dans les cartes d’identités, mais elles sont bien là car beaucoup des nôtres sans distinction d’ethnies sont morts pour ce qu’ils étaient.

Pour nous unir, nous devrions accepter nos identités, qui nous sommes et ce que les autres sont  Hutu, Tutsi, Twa, Hutsi, sans ethnie, Rwandais… Nous devons comprendre qu’au-dessous de ces groupes identitaires il y a une valeur plus forte : celle d’être humain, nous devons combattre l’idée qu’une personne soit tuée pour ce qu’elle est ou ce qu’elle a dit. En une phrase personne ne doit être tuée tout court. Nous devons nous voir comme un peuple uni et ne pas accepter que les irresponsables tuent ne serait qu’un des nôtres.

Wagiye uvuga ko ugiye gupagasa, none imyaka isaze mirongo itatu

« Tu es parti en disant que tu allais chercher un emploi saisonnier et depuis il s’est passé trente ans ».

25 ans, 30 ans, 40 ans travailler pour que la nation rwandaise soit unie et reconciliée prendra le temps qu’il faudra. Quand on a dit que l’on partait pour un emploi saisonnier c’était une sous-estimation de la capacité des autorités à nuire, à utiliser les institutions du pays pour leurs intérêts. C’était une sous-estimation du mal que les autorités de ton époque ont fait aux Rwandais.

Pour y arriver nous devons dénoncer ces irresponsables sans distinction. Le Rwanda dont je rêve n’a pas encore son vu le jour, mais nous nous battrons pour y arriver.

I Buganda niyo haba heza hate,  rwose nta gihugu cyaruta u Rwanda.

« Aussi beau que soit l’Ouganda, aucun pays ne peut surpasser le Rwanda ».

L’Ouganda, La République Démocratique du Congo, la Zambie, le Malawi, le Burkina-Faso, le Kenya, la France, le Cameroun, La Belgique, le Canada, Le Royaume-Uni, les Pays-Bas…tous ces pays ne seront jamais « u Rwagasabo ». Pour la géographie c’est un point qui se discute il y a des beaux paysages partout. En revanche aucun pays ne sera jamais le Rwanda de même ils ont quelque chose à m’offrir de plus que le Rwanda : la liberté, la fraternité et l’égalité. Ce sont les pays dans lesquels les gens ont plus des libertés individuelles qu’au Rwanda. Ce sont des pays où nul n’est au-dessus de la loi.

Umukecuru n’umusaza bose barashaje, bajyanye agahinda ko kutamenya ibyawe.

« Le grand-père et la grand-mère sont avancés en âge maintenant, ils sont tristes de ne pas avoir de tes nouvelles ».

C’est mon plus grand regret dans la vie celui ne n’avoir pas été là. Je sais où se trouvent leur dernière demeure sur cette terre, y faire un tour, déposer des bouquets de fleurs font partie de choses que je rêve de faire au Rwanda. En attendant je garde l’espoir, Dieu est plus grand que tout, il me donnera la possibilité de le faire.  Je ferai aussi un pèlerinage sur les dernières traces des derniers de la grand-mère, tu vois de qui je parle… Pour elle on ne saura jamais sa dernière demeure sur cette terre. Peu importe, ils sont tous là avec moi. C’est en pensant aux personnes qu’ils étaient, des personnes avec beaucoup d’amour, des personnes généreuses que je trouve la force de mener ce combat. Ce combat pour que tous les Rwandais nous soyons égaux

Uzagire ugaruke Ubalijoro, twese uko turi turagukumbuye

« Pourrais-tu revenir Ubalijoro, tu nous manques tous ici ».

Vous me manquez énormément aussi, je reviendrai au Rwanda, chaque tunnel a une entrée et une sortie, le Rwanda finira par sortir du tunnel dans lequel il est

Wasize turi Ibitambambuga, None ubu twese turubatse,

« Quand tu es parti nous étions des enfants en bas-âge et aujourd’hui nous sommes tous mariés ».

Mon cher Mukurambere, quand je suis partie je sortais de l’enfance, je suis une maman aujourd’hui ! Tous ces neveux et nièces que je ne connais pas, tous ces beaux-frères et belles-sœurs que je ne connais pas. Je me contente des photos.

U Rwanda rwabonye ubwigenge, ubu ni igihugu cy’amahoro.

« Le Rwanda est devenu un pays indépendant, c’est un pays de paix maintenant. »

Le Rwanda est passé d’un pays indépendant à un pays libéré mais depuis de nombreuses décennies il n’a jamais été un pays de paix. Tu vois Mukurambere, quand nous définissons la paix comme l’absence de la guerre c’est un leurre. La génération de 2019 ne veut plus se mentir sur ce fait. Le Rwanda est pays où des civils innocents meurent tous les jours en 2019, c’est un pays où la grande majorité de la population est pauvre, les jeunes filles se prostituent…pire les Rwandais ne sont pas égaux, c’est un pays discriminant. Vois-tu comme une nation, nous avons perdu beaucoup d’être chers, ils étaient Hutu, Tutsi ou Twa… mais certains compatriotes se sentent concernés seulement par une partie de ces êtres chers à la nation. Même les gens qui sont tués aujourd’hui, cela se fait dans une grande indifférence.  

Le tableau n’est pas que sombre, il y a des personnes intelligentes et de bon cœur qui sensibiliser les autres à élargir leur champ de compassion, leur champ d’indignation. Pour eux le curseur doit dépasser les ethnies et se place à la perte innocente d’une vie humaine, rappelons que depuis la peine de mort a été abolie au Rwanda, mais hélas que dans les textes.

Bakuru bawe baruzukuruje, Ntiwabamenya Imvi ni uruyenzi,

« Tes grands frères sont devenus grand parents, les cheveux blancs ont poussé« .

Quelle bonne nouvelle, à chaque photo, à chaque naissance je partage votre joie. « Abadapfuye barabonana » « Ceux qui ne meurent pas finissent par se voir ». Je garde l’espoir de voir cette nouvelle génération, l’espoir que tous tes arrières petits-fils se rencontrent un jour.

Haherutse kuza inkuru itubwira, ko iyo uba habaye intambara,

« Nous avons été informé que là où tu es il y a eu la guerre »

Elle commence à date cette guerre, oui elle a belle bien eu lieu

Abantu ngo bakwiriye imishwaro, wowe aho se yaragusize?

« Il semblerait que les gens se soient dispersés, l’as-tu survécue ? »

Par la grâce de Dieu je n’ai même pas eu à connaitre les moments terribles de cette guerre, juste le début. Elle a emporté beaucoup des civils innocents de plusieurs nationalités. Notre combat est d’obtenir une justice pour toutes les victimes aussi.

Niba se ukuri ho Ubalijoro, uzatwandikire dushire Intimba

« Si tu es toujours en vie Ubalijoro, pourras-tu nous écrire pour que nous ne soyons plus chagrinés »

Voilà c’est chose faite. Ce n’était vraiment pas nécessaire car contrairement à l’époque où tu as écrit cette lettre, les moyens de communication se sont développés. Paradoxalement avec le développement des moyens de communications, nos conversation publiques se sont vidés de sens !  Ce n’est pas que la météo au Rwanda ne m’intéresse pas, c’est juste que j’aimerais savoir comment vous survivez au Rwanda ? Et cela je comprends que vous n’étés pas libres d’en parler. Au fait il fallait comprendre la libération du Rwanda comme une libération d’une partie des Rwandais, je me pose même la question de qui ? tout en enchaînant les autres. Alors je ne suis pas sûre que mes notes soient de nature à enlever un chagrin qu’elles n’ont pas causées.

Uzagire ugaruke Ubalijoro, twese uko turi turagukumbuye.

« Pourrais-tu revenir Ubalijoro, tu nous manques tous ici ».

Vous me manquez énormément aussi, c’est en grande partie pour vous que j’agis. Pour que vous soyez libres, pour que la nouvelle génération soit libre, pour qu’elle ne connaisse pas ce que nous avons connu.

Alice Mutikeys

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