Par Nsengiyumva Rugaba Patrick Co-auteur de Survivre Par la Parole : La version française est disponible sur AMAZON France
Merci Seigneur, pour les nombreuses bénédictions que tu m’as octroyées. Je remercie Dieu de m’avoir protégé contre les nombreux défis que j’ai rencontrés. Je suis reconnaissant à mes parents de m’avoir donné la vie et de m’avoir élevé, ainsi qu’à mes frères et sœurs et à mes amis qui ont toujours été à mes côtés dans les bons et les mauvais moments. Je ne peux pas vous remercier assez et je suis qui je suis grâce à vous tous. Vous êtes immensément précieux.

Normalement, je n’aime pas parler de mon anniversaire en public, ni des célébrations d’anniversaire, mais j’ai quelque chose à dire à ce sujet aujourd’hui. Si je ne célèbre pas de fêtes d’anniversaire, ce n’est pas parce que je n’aime pas ça, c’est parce que je n’y consacre pas beaucoup de temps et d’espace, surtout parce que je n’ai pas grandi en faisant des fêtes d’anniversaire au point de m’y intéresser. J’imagine que même si mes parents aimaient de telles célébrations, ils n’auraient pas trouvé le temps de les organiser.
Lorsque j’ai eu deux ans en 1992, ma famille était dans une situation terrible : mon père était un prisonnier politique au Rwanda et ma famille avait reçu de nombreuses menaces de mort et s’attendait à être attaquée à tout moment. Mon deuxième anniversaire n’a pas été l’occasion de faire la fête. Deux ans plus tard, en 1994, le Rwanda était toujours jonché de chair humaine en décomposition, la conséquence des massacres de l’après-génocide. Le pays était toujours dans un désordre terrible après le génocide. Il est possible que certaines personnes aient organisé des fêtes, mais ce n’était pas possible pour la plupart des Rwandais. Pour ma famille en particulier, nous venions de perdre plus de cent membres de notre famille dans le #Génocide, qui avaient été tués avec une brutalité inimaginable. Nous regardions fixement les restes de leurs maisons détruites et nous ne savions pas où beaucoup d’entre eux étaient enterrés. Beaucoup de nos voisins avaient fui au #Congo et d’autres couraient toujours vers l’exil. C’était un moment douloureux et pas un moment pour organiser des fêtes.
Un an plus tard, en 1995, j’ai eu cinq ans. Mais mon père était de nouveau en prison. Les adultes cachaient certaines histoires qui circulaient. Il y avait des histoires selon lesquelles mon père et beaucoup d’autres personnes pourraient être massacrés par le gouvernement du #FPR de la même manière que les #Interahamwe avaient essayé de faire pendant le génocide de 1994.
Depuis cette époque, je n’ai pas eu l’occasion de vivre avec mon père jusqu’à aujourd’hui. Je suis toujours reconnaissant qu’il ait survécu et qu’il soit toujours en vie, bien qu’en exil au lieu de vivre dans sa propre patrie. Pendant les années qui ont suivi 1995 jusqu’en 2013, lorsque j’ai également fui le #Rwanda, j’ai vécu avec ma mère et mes frères et sœurs. Je lui remercie pour son sacrifice et pour nous avoir élevés pendant une période très difficile et misérable. Elle voulait nous assurer un bon avenir à nous, ses enfants. ELLE N’EST PAS SEULEMENT MA #MÈRE, ELLE EST AUSSI MON #HÉROS ET MON MODÈLE.
Grâce à ma mère, j’ai appris la patience et la persévérance lorsque vous avez un objectif à atteindre, même si cela peut prendre de nombreuses années. Elle m’a appris à ne pas compromettre mon intégrité malgré les problèmes, les pressions, les guerres, etc., même si pour ce faire je dois affronter le monde entier.
C’est une femme extraordinaire pour laquelle je ne trouve pas les mots pour la décrire. Permettez-moi également de saisir cette occasion pour remercier toutes les mères. Vous êtes immensément précieuses, que Dieu vous bénisse toutes. En parlant de ma mère, nous avons vécu des moments très difficiles où elle ne trouvait pas du tout le temps de fêter les anniversaires. J’ai aussi eu ce sentiment en grandissant. Vers l’âge de six, sept ou huit ans, j’étais très curieux et j’ai appris ce qui était arrivé à ma famille pendant le génocide et les morts horribles que mon peuple a subies. Les adultes me montraient les fosses communes dans lesquelles ils avaient été enterrés. Je regardais de loin les ruines de leurs maisons parce que cela me faisait peur. À ce jour, je ne me suis jamais approché de ces ruines.
Alors que j’apprenais toutes ces choses, je me demandais comment une personne pouvait tuer son voisin de manière aussi brutale, qu’il s’agisse de jeunes enfants, de vieilles femmes handicapées qui ne pouvaient pas quitter leur maison ou de personnes souffrant de troubles mentaux. Ils me disaient qu’ils avaient été tués simplement parce qu’ils étaient des Tutsi et jusqu’à ce jour, je ne comprends pas pourquoi c’est une raison suffisante pour tuer une autre personne.
En plus de ces récits de ce qui est arrivé à ma famille, il y a des choses que j’ai observées de mes propres yeux, comme les détentions et les emprisonnements arbitraires par le #FPR qui était censé être une armée de sauveurs. Des gens étaient massivement emprisonnés chaque jour après avoir été lourdement battus et torturés. Je n’oublierai jamais les hommes qui étaient battus avec des barres de fer alors qu’ils portaient un lourd rondin de bois. Pendant qu’ils étaient battus, des foules de gens les entouraient et les lapidaient.

Chaque fois que je demandais pourquoi ces personnes étaient torturées, on me répondait qu’elles avaient commis un génocide. Mais en grandissant, j’ai compris qu’il s’agissait de garçons et d’hommes qui venaient de rentrer des camps de réfugiés du #Congo. J’ai compris qu’ils rassemblaient tous les hommes HUTU sans faire de différence entre les innocents et les coupables, qu’ils les tuaient ou les emprisonnaient dans des conditions horribles et que beaucoup mouraient en détention.
Ces observations ont éveillé ma curiosité et m’ont incité à prêter attention à ce qui se passait dans mon enfance. Je me suis demandé pourquoi des gens étaient tués parce qu’ils étaient Tutsi et pourquoi d’autres étaient tués et torturés parce qu’ils étaient Hutu. À mon âge, je ne comprenais pas ce que signifiait l’ethnicité et pourquoi des gens étaient tués pour cela. Cela me dépasse encore aujourd’hui. En quatrième année d’école primaire, l’un des adultes, que je garde anonyme pour des raisons de sécurité, a déclaré : « Les milices de l’#INTERAHWAMWE ont tué nos familles et ont fait la fête, maintenant les rôles se sont inversés et ils doivent faire face aux conséquences. Cependant, les #FPR qui font la même chose devront faire face aux conséquences de ce qui se passe aujourd’hui. »
J’ai demandé comment le #FPR fera face aux conséquences et il m’a répondu qu’il y a toujours des gens intelligents qui documentent de telles choses de manière à ce que leurs documentations puissent être utilisées à tout moment lorsque l’occasion se présente. Il m’a dit qu’il y avait des gens massacrés dans les forêts du #Congo qui avaient des stylos et des carnets pour noter ce qu’ils vivaient. Il a également ajouté que les personnes ayant contribué financièrement au FPR avaient été répertoriées et que ceux qui ont survécu au génocide seront récompensées pour avoir aidé le #FPR. Il était loin de se douter qu’en 2022, ces contributeurs feraient également partie des personnes tuées par le FPR en 2022. C’est triste.
Cela m’a fait réaliser l’importance d’écrire et de documenter, même si j’étais jeune et que je savais à peine écrire, j’ai décidé de prendre un de mes cahiers et de le conserver pour documenter ce que je voyais se passer à ce moment-là et le garder. J’écrivais pendant les récréations (ou les pauses). Je restais en classe et j’écrivais les injustices que j’avais vues ou entendues. J’ai surtout mis l’accent sur les réfugiés qui revenaient du #Congo et qui étaient torturés et tués par les soldats du #FPR appartenant au président du Rwanda, Paul Kagame.
Après quelque temps, les enfants de ma classe ont commencé à dire que chaque fois qu’ils allaient jouer pendant la récréation, je restais pour écrire des lettres d’amour aux filles de la classe, Ils ne se doutaient pas que j’écrirais autre chose.
Mon professeur était aussi la cousine de ma mère et j’avais peur que si les autres élèves lui rapportaient ce qu’ils pensaient, elle lise ce que j’écrivais et le dise à ma mère, et que je me prenne une sacrée raclée. Ma mère est une femme disciplinée qui ne supporte pas les bêtises. Il ne fallait pas jouer avec ses punitions. J’avais peur des conséquences et j’ai déchiré ce cahier.
Après avoir brûlé le cahier, je me suis juré d’écrire un livre quand je serais grand et d’y inclure toutes les choses que j’avais dans ce cahier déchiré et plus encore. J’y inclurais également les histoires de ma famille.
Cette idée que j’avais depuis mes dix (10) ans a été difficile à mettre en œuvre pour de nombreuses raisons. Des années plus tard, en 2013, j’ai fui le Rwanda mais j’ai rencontré de nombreux problèmes qui ont renforcé le besoin d’écrire un jour un livre pour éclairer le monde sur la véritable histoire du Rwanda du point de vue de ceux qui l’ont vécue. C’était particulièrement important pour moi, car je rencontrais souvent des non-Rwandais qui avaient des histoires biaisées selon les personnes qui leur avaient parlé. Certains me demandaient si j’étais Hutu ou Tutsi, d’autres me disaient qu’on leur avait dit que les Hutus étaient des tueurs et d’autres encore qu’ils avaient entendu dire que les Tutsis étaient des tueurs. Cela me faisait mal de voir que les crimes commis par de petits groupes au sein de ces groupes étaient attribués à des groupes plus importants au lieu de désigner les véritables criminels.
Dans ma quête d’un changement pacifique et d’une paix durable au #Rwanda, j’ai rencontré un activiste rwandais nommé Claude Gatebuke. Au cours de nos conversations, ce que j’ai appris de lui, c’est qu’il est bon d’être contre les injustices, mais que ce n’est pas suffisant. J’ai appris qu’il était encore mieux et utile de parler et d’exposer ces injustices publiquement. Je pensais que c’était une bonne idée, mais il m’était difficile de prendre le risque de m’exprimer publiquement, car je vivais caché à l’époque et je pouvais être capturé par des espions rwandais à tout moment.
J’avais déjà survécu à des tentatives d’assassinat et d’enlèvement. Je changeais fréquemment de résidence. J’ai commencé à penser à écrire à nouveau pour m’assurer que si je mourais, mes écrits seraient laissés derrière moi mais je n’arrivais pas à me lancer dans l’écriture.
En2019, j’ai été invitée dans une émission pour aborder la question de l’éducation au #Rwanda et la vie terrible que mènent les enseignants, d’autant plus que je suis un ancien enseignant. À l’époque, les enseignants étaient payés 45 dollars américains par mois mais avaient tellement de frais qu’ils se retrouvaient avec moins de 30 dollars pour vivre pendant le mois ; un montant honteux qui ne peut pas payer une chambre pour vivre dans la capitale du Rwanda #Kigali. Même si je disais la vérité, beaucoup de mes amis encore sous l’emprise du #FPR m’ont écrit pour me dire que je ternissais l’image du pays. Une telle accusation est lourdement punie au #Rwanda, notamment par la mort, la disparition forcée ou une longue peine de prison. Les autorités peuvent également s’en prendre aux membres de familles et à des amis de ceux qui sont accusés de ternir l’image du pays.
En 2020, après l’assassinat du chanteur de gospel, populaire #KizitoMihigo, j’ai rejoint les émissions d’un groupe appelé #RibaraUwariraye. J’ai parlé ouvertement de l’histoire de ma famille, des problèmes que j’ai rencontrés lorsque j’étais au Rwanda et de la façon dont j’ai fui le Rwanda. J’ai reçu de nombreux messages de personnes me remerciant et me consolant. J’ai aussi reçu des messages de nombreuses personnes me disant que le fait d’exposer publiquement ces problèmes me ferait tuer.
Même si je parlais de ma famille, je savais que cela m’attirerait des ennuis avec le gouvernement du #FPR dirigé par Paul Kagame, car il insiste pour que chacun adopte un discours conforme au discours officiel du FPR. Ils prescrivent même ce qui doit être dit et où le dire. Cela ne m’a pas découragé. En fait, j’ai redoublé d’efforts et continué à parler publiquement des atrocités commises par le FPR. De nombreux proches au Rwanda m’ont renié et m’ont accusé de travailler avec les #Interahamwe (chantage émotionnel). Ils m’ont également accusé d’être fou. Cela m’a attristé de me retrouver aliéné par des personnes que je considérais comme des amis proches, mais à ce jour, cela ne m’a pas découragé.

Les collègues que j’ai rencontrés dans le groupe #RibaraUwariraye sont restés mes amis et sont devenus ma famille. Je leur suis reconnaissant à tous, ainsi qu’aux autres personnes appartenant à divers groupes et organisations qui s’efforcent de faire changer les choses au Rwanda.
Finalement, l’idée d’écrire un livre rassemblant des dizaines de témoignages de survivants et de témoins de diverses atrocités commises au Rwanda a germé. Le projet m’a enthousiasmé et je suis heureux d’avoir pu y prendre part.
Aujourd’hui, je suis très heureux et je fête mon anniversaire parce que le fait d’avoir co-écrit le livre « Survivors Uncensored » qui a aussi une version française appelée « Survivre Par La Parole » avec mes co-auteurs Constance Mutimukeye, Delphine Yandamutso David Ndayambaje, Eric Ngoga, Urujeni Genty, Herve Oscar Nyangoga et Claude Gatebuke ainsi que beaucoup d’autres contributeurs est une grande source de fierté pour moi. Je suis reconnaissant à tous ceux qui ont apporté leur témoignage à ce livre ainsi qu’à ceux qui ont contribué et continuent de contribuer au succès de ce livre. Je suis fier de marcher à vos côtés afin d’œuvrer pour un meilleur #Rwanda et un meilleur lendemain.
Aujourd’hui pour mon anniversaire, le meilleur cadeau que vous pouvez m’offrir et les autres jours, c’est d’acheter notre livre disponible sur Amazon et d’en faire la promotion. Je ne dis pas cela parce que je suis l’un des co-auteurs ou parce qu’il contient des témoignages de mon père, de mon frère et de certains de mes amis, mais parce qu’il réalise un rêve que j’avais depuis l’âge de 10 ans. Je voulais que le monde connaisse la souffrance des Rwandais sans discrimination.
Ce livre contient plus de 100 témoignages de survivants et de témoins de toutes origines rwandaises : ethniques, religieuses, socio-économiques, politiques, etc. Les histoires sont diverses dans le temps et la géographie, il n’y a pas eu de discrimination comme nous y sommes habitués dans la littérature rwandaise.
Bien que j’aimerais écrire un livre spécifique sur mon histoire, ma famille et mon pays, rien ne pourra égaler la joie que j’éprouve à voir que nous avons un livre représentant l’histoire douloureuse des Rwandais à différentes époques et dans divers lieux géographiques, en anglais et en français, et dans d’autres langues dans un avenir proche. Ce livre est plein d’espoir pour un pays meilleur, fondé sur la vérité, la justice et la liberté pour tous comme base d’une nation prospère.
Je tiens à exprimer toute ma gratitude à tous ceux qui m’ont soutenu au cours des différentes périodes de ma vie, à ceux qui continuent à lutter pour le changement au Rwanda et à ceux qui se battent contre l’injustice dans le monde entier.
« Ejo ni heza kuruta uyumunsi – Demain sera une meilleure journée » !
Nsengiyumva Rugaba Patrick. vous pouvez le suivre sur Twitter @PatrickRugaba