Depuis le déploiement rapide de l’armée rwandaise au Mozambique en juillet 2021, plusieurs questions sont restées sans réponses.
Une d’elles concerne le financement de cette opération militaire. En effet, le Mozambique n’est pas géographiquement proche du Rwanda et n’est pas non plus dans sa zone d’influence. Au Rwanda cette question est taboue, ce qui n’est pas étonnant au vu de la nature dictatoriale du régime de Kigali. Étrangement, les media de ce pays sont plus loquaces quand il s’agit d’évoquer le financement de l’opération de l’armée ougandaise en cours en République Démocratique du Congo
Si le Rwanda participe depuis plusieurs années à diverses opérations extérieures, c’est souvent sous l’égide de l’ONU qui prend en charge toutes les dépenses. Le voile quant au financement commence à se lever. Selon le journal Africa Intelligence[i], le Rwanda financerait dans un premier temps cette opération et à hauteur de 20 millions de dollars par mois. 2500 militaires et policiers rwandais sont actuellement déployés au Mozambique.
Si ce chiffre de 20 millions de dollars n’a rien d’étonnant pour ce type d’opération extérieure, il l’est plus par le fait que c’est le Rwanda qui paye. Le Rwanda reste un des pays les plus pauvres au monde. Le Rwanda dépend de l’aide extérieure et le taux d’endettement ne cesse d’augmenter et frôle les 80% malgré que la dette extérieure eût été effacée en 2005. La question devient encore légitime car le Rwanda avait déployé fin 2020, début 2021 ses forces spéciales en Centrafrique en dehors du mandat de l’ONU. L’opération du Rwanda s’inscrit officiellement dans la lutte des djihadistes qui sévissent au Nord du Mozambique depuis plusieurs années. Mais dans le concret, cette opération vise à sécuriser le futur site gazier de l’entreprise française TotalEnergies, menacé par les djihadistes. Ce projet d’exploitation du gaz est estimé à 20 milliards de dollars et devrait permettre au Mozambique d’accélérer son développement comme l’ont fait les pays du Moyen-Orient. Il convient de noter que la piste que ce soit la France qui finance l’opération est souvent évoquée même si les autorités françaises et rwandaises nient ce fait.
Pour en savoir plus : France-Rwanda-Mozambique : Emmanuel Macron derrière l’envoi des troupes de Paul Kagame au Mozambique
Une opération qui se complique.
Au départ le déploiement rapide des troupes rwandaises a pris de court les pays membres de l’organisation régionale SADC. Sur le papier tout était simple, les 1000 hommes rwandais devaient mener une guerre éclair, déstabiliser définitivement les insurgés ce qui aurait rendu caduque les opérations de la SADC. D’ailleurs c’est ce qui a été fait selon la machine efficace de communication du gouvernement rwandais. À peine 2 semaines après le déploiement, le Rwanda contrairement aux autres troupes de la SADC, revendiquait déjà plusieurs victoires et l’anéantissement des djihadistes. Six mois après ce premier déploiement, force est de constater que la situation dans la province du Cabo Delgado est loin d’être stabilisé et tend à se propager dans la province voisine du Niassa. Dans un interview donné récemment au site d’information News24[ii], le Professeur Adriano Nuvunga – directeur du Centre pour la démocratie et le développement (CDD) et membre du comité directeur du Réseau mozambicain des défenseurs des droits de l’homme (RMDDH) – a averti la SADC de ne pas se relâcher car les insurgés pourraient frapper à tout moment. Selon lui « L’insurrection n’est pas encore neutralisée. Les extrémistes violents se regroupent, lancent des attaques depuis plusieurs parties de Cabo Delgado et ils s’étendent également à la province voisine de Niassa où ils ont lancé d’importantes attaques«

L’enlisement de ce conflit n’est pas une bonne nouvelle pour le Rwanda et en particulier pour ses finances. Il est évident que le Rwanda ne peut supporter financièrement à lui seul et à long terme le déploiement de ses troupes au Mozambique. La réalité du terrain sur le plan géographique est aussi différente de celle du Rwanda. La province du Cabo Delgado est trois fois plus vaste que le Rwanda
La question du financement des opérations militaires se pose aussi pour les troupes SADC. Pourtant ces pays ont un potentiel financier plus important que le Rwanda. Selon une déclaration de Piers Pigou, consultant principal du Crisis Group pour l’Afrique australe à News24 « Les défis immédiats pour la SADC concernent le financement de leur déploiement, qui continue de limiter l’extension ou la consolidation de l’intervention au-delà du déploiement avancé des forces spéciales. Cela limite l’impact potentiel » Ce qui fait craindre un conflit qui perdurerait plusieurs années.
TotalEnergies en sauveur financier ?
Selon le journal Africa Intelligence, le PDG du groupe TotalEnergies, Patrick Pouyanné, prévoit prochainement de se rendre au Mozambique, puis au Rwanda. Deux points seront certainement au cœur des discussions : la reprise du projet gazier et les conditions sécuritaires de cette reprise. Selon Africa Intelligence, TotalEnergies tablerait sur une reprise du projet au milieu de l’année 2022. D’autres sources évoquant l’année 2023. Dans tous les cas, la reprise serait conditionnée à un établissement d’une zone verte où la sécurité serait optimale dans un rayon de 30 Km autour du futur site gazier. Le problème est que pour l’établissement de cette zone verte le groupe TotalEnergies ferait plus confiance aux troupes rwandaises que leurs collègues mozambicains. Or c’est à ces derniers que la sécurité du territoire mozambicain incombe. Les échecs précédents et la désorganisation de l’armée mozambicaine n’ont pas laissé un mauvais souvenir à TotalEnergies

Le voyage du PDG de TotalEnergies au Rwanda s’inscrirait donc dans un cadre de remerciement aux troupes rwandaises et aussi voir comment le Rwanda peut rester au Mozambique sur le long terme. Selon Africa Intelligence, TotalEnergies pourrait lancer au Rwanda un projet d’électrification en contrepartie du déploiement rwandais au Mozambique. Si un tel projet devait un jour se concrétiser, il attirerait forcement l’attention en particulier sur les détails financiers et juridiques
Une présence rwandaise qui ne fait pas l’unanimité.
L’hypothèse d’une présence continue n’est pas au goût de tout le monde. Que ça soit sur sa durée, les contreparties et le financement. Selon le journal Jeune Afrique[iii], la France continue de démentir tout soutien financier aux troupes rwandaises. La France déclare agir uniquement dans le cadre de l’union européenne. Le gouvernement mozambicain est resté silencieux sur ce point. Le fait que le Mozambique a dû faire appel au soutien extérieur pour les questions relevant de sa propre souveraineté n’a pas fait aussi l’unanimité y compris au sein du parti au pouvoir Frelimo. Le Président Nyusi devrait quitter le pouvoir 2024 à l’issue des deux mandats prévus par la Constitution.
Le contexte entourant le déploiement des troupes rwandaises a aussi inquiété les ONG luttant pour les droits humains qu’elles soient mozambicaines ou internationales. Ainsi il peut être noté l’arrestation et la disparition forcée par les éléments de la police mozambicaine en mai 2021[iv] de Cassien Ntamuhanga, journaliste en exil, activiste des droits des Rwandais, une voix critique de Paul Kagame. Il y a aussi l’assassinat d’un autre réfugié politique Revocat Karemangingo en septembre 2021[v].


Un autre point important est le manque de coordination de plus en plus visible entre les troupes rwandaises et celles de la SADC. Selon Piers Pigou toujours à News24 « Il semble y avoir une déconnexion entre les forces conjointes, il n’y a pas de partage de renseignements ou de coordination stratégique adéquat ». En effet le 9 et 10 janvier 2022, les responsables de sécurité mozambicains et rwandais se sont réunis à Kigali au Rwanda. Juste après il y a eu un sommet de la SADC le 11 et 12 janvier 2022 au Malawi. Les différentes rencontres discutaient de la situation au Mozambique mais en ordre dispersé là où il devrait y avoir de la coordination et le partage de renseignements.
Le Mozambique n’est pas l’Afghanistan
Si un point fait l’unanimité est que le Mozambique n’est pas l’Afghanistan. Personne n’est prêt à y rester 20 ans à l’image des USA en Afghanistan. Des solutions autres que militaires s’avèrent inéluctables. Les régions où opèrent les djihadistes sont aussi celles les plus pauvres et délaissées. Ce qui rend les populations plus réceptives aux discours djihadistes. Se pose aussi une question de bonne gouvernance où les autorités devraient être irréprochables et devraient plus associer les populations de ces régions aux projets de développement. Les populations passant de simples victimes des décisions prises à leur insu, à citoyens acteurs de leur développement.
Nyangoga Hervé Oscar
A propos de l’auteur :
Nyangoga Hervé Oscar est un activiste des droits de l’Homme basé en France et peut être suivi sur twitter @nyangoga.
[i] https://www.africaintelligence.fr/petrole-et-gaz_exploration-production/2022/01/24/cabo-delgado–le-yalta-
diplomatico-petrolier-de-patrick-pouyanne-et-paul-kagame,109718057-art
[ii] https://www.polity.org.za/article/insurgents-planning-more-deadly-attacks-in-cabo-delgado-sadc-warned-2022-01-14
[iii] https://www.jeuneafrique.com/1244486/economie/mozambique-qui-peut-sauver-le-cabo-delgado/#:~:text=Elle%20s’est%20tenue%20%C3%A0,de%20s%C3%A9curisation%20de%20la%20zone.
[iv] https://www.hrw.org/fr/news/2021/06/15/mozambique-le-sort-dun-demandeur-dasile-rwandais-souleve-de-graves-inquietudes
[v] https://www.hrw.org/fr/world-report/2022/country-chapters/380887