Mise à jour le 03 novembre pour corriger le nom de celui qui était ministre de l’éducation nationale en 1994.
« Babyeyi » – « les parents » est le terme utilisé au Rwanda pour désigner la liste des fournitures et les frais de scolarité demandés à chaque élevée qui entre au collège ou au lycée. Dans un pays où le revenu mensuel moyen est de 65€ (en utilisant le PIB par habitant), le « Babyeyi » le moins cher peut être estimé à 100€. De lors les semaines qui précèdent l’entrée au collège ou au lycée d’un enfant est une période angoissante pour de nombreux parents qui s’endettent parfois pour pouvoir envoyer leurs enfants à l’école.
Tout commence avec la publication des résultats des examens nationaux de fin d’études primaires et du premier cycle de l’enseignement secondaire (tronc commun, équivalent du collège en France), qui cette année a eu lieu le mardi, 27 août 2024. Passés quelques minutes de joie suite à l’annonce de la réussite de leurs enfants, de nombreux parents, majoritairement situés dans la classe sociale moyenne basse ou en dessous commencent une période qu’ils comparent à un calvaire et un véritable cauchemar se demandant comment ils pourront payer les frais de scolarité, le matériel scolaire, les produits d’hygiène et autres demandes qu’exigent les écoles. Un des parents qui n’a pas réussi à scolariser ses enfants pointe du doigt la dictature du Front Patriotique Rwandais (FPR) qui, depuis sa prise du pouvoir en juillet 1994, a progressivement détériorée la qualité de l’éducation au point où de nos jours les enfants terminent leurs études primaires (école élémentaire) sans savoir compter, ni lire ni écrire tout en appauvrissant les parents.
Pour lui la qualité de l’éducation devient de plus en plus médiocre suite aux décisions imposées par le régime en place sans se soucier des conséquences pour les enfants rwandais et ce d’autant plus que les enfants de ceux qui prennent ces décisions et plus globalement les enfants de la classe sociale supérieure au Rwanda étudient dans des écoles privées ou à l’étranger.
L’instabilité autour du système éducatif
Depuis de nombreuses années le ministère de l’éducation (MINEDUC) a subi de multiples réformes radicales, chaque ministre vient avec sa petite réforme sans que toutes les écoles surtout celles situées dans des zones rurales ou dans des quartiers pauvres puissent suivre le rythme. L’exemple le plus criant et le changement de la langue française à la langue anglaise en 2008, qui a été imposé du jour au lendemain suite à un désaccord politique entre la France et le Rwanda.
Depuis 1994 le MINEDUC a connu 16 ministres à savoir Pierre Célestin Rwigema (1994-1995), Laurien Ngirabanzi (1996), Dr Joseph Karemera (1996-1999), Emmanuel Mudidi (1999-2001), Prof. Romain Murenzi (2001-2006), Dr Jeanne d’Arc Mujawamariya (2003-2008), Dr Daphrose Gahakwa (2008-2009), Dr Charles Muligande (2009-2011), Dr Pierre Damien Habumuremyi (2011), Dr Vincent Biruta (2011-2014), Prof Silas Lwakabamba (2014-2015), Dr Papias Malimba Musafiri (2015-2017), Dr Eugène Mutimura (2017-2020), Dr Valentine Uwamariya (2020-2023), Gaspard Twagirayezu (2023-2024) et Dr Joseph Nsengimana (depuis 12 septembre 2024). La durée moyenne pour un ministre dans ce ministère est d’une année et neuf mois, de ce fait tous les deux ans le système éducatif subit un changement sans se soucier de la continuité du programme scolaire ou des conséquences sur la pédagogie.

« Babyeyi »
Pour l’année scolaire 2023-2024, sur 143 842 élevés en fin de premier cycle 143 227 ont pu participer aux examens de fin d’année (équivalent du Brevet). 137 052 (95%) ont réussi parmi eux 52.8% ont été orientés vers les écoles à enseignement général, 40.5% aux écoles techniques, 4.7% aux écoles de formation d’enseignant de l’école primaire (TTC), 1.8% en comptabilité et 0.2% aux écoles de formation d’enseignant de l’école maternelle (ECD).
Leur rentrée scolaire 2024/2025 était le 09 septembre 2024, à ce jour, le 22 septembre 2024, une partie d’enfants reste à la maison dans l’attente que leurs parents compléter la liste « Babyeyi », la liste des fournitures et moyens financier que chaque élevé doit présenter à l’école pour pouvoir être admise. Les parents sans moyens ne peuvent pas compter sur l’aide de l’État rwandais qui est sélective en fonction des origines ethniques, les élevés tutsis, ethnie qui domine le pouvoir, sont mieux lotis tandis que les autres sont délaissées à leur propre sort. Ce sujet est tabou dans la mesure où les ethnies sont supposées ne plus exister au Rwanda, mais seuls les descendants des rescapés du génocide sont aidés.
Pour mieux comprendre l’angoisse des parents, nous avons estimé combien un parent au Rwanda doit débourser pour que son enfant soit admis dans une école. Les chiffres sont à mettre en relief avec le revenu mensuel au Rwanda qui est de 65€ en prenant en compte le PIB moyen ou le salaire mensuel des enseignants au Rwanda qui est entre 60€ et 115€.
Notre premier exemple est une école publique, l’école technique de Runda (Runda TVET School), « Babyeyi », pour être admise, l’élève doit payer :
- Les frais de scolarité s’élevant à 118 000 francs rwandais, environ 78€ répartis comme suit : 92 000 FRW pour le minerval, 1 500 FRW pour la carte de l’élève et celle de discipline, 1 500 FRW pour l’assurance, 18 000 FRW pour les uniformes et 5 000 FRW pour le T-shirt.
- 1 000 FRW pour la coiffure
- 2 000 FRW pour le transport-retour à la fin du trimestre.
Ceci veut dire que chaque élève doit payer au compte de l’école une somme de 121, 000 FRW au début du premier trimestre (environ 81€). À cette somme chaque élève doit apporter en plus le matériel scolaire acheté à la maison tel que le moustiquaire (5 000 FRW), une salopette, une paire chaussures strong boots, deux paires de chaussures noires fermées, au moins trois paires de chaussettes blanches et des sandales de douche, une paire de chaussures de sport, un gilet, un tricot type jumper pour protection contre le froid, les outils pour le dessin, deux papiers bristols, un classeur type RADO, une tenue de sports, une lame de papier, un matelas, deux paires de draps, une couverture et un couvre-lit, une serviette de bain, un seau, une gourde, trois tiges de savons, six papiers hygiéniques et quatre serviettes hygiéniques pour les filles, une assiette, un gobelet en aluminium, une fourchette, une cuillère et un couteau de table, 15 cahiers 200 pages, 10 cahiers 96 pages, deux cahiers 200 pages pour évaluation, 10 stylos à billes sans oublier deux photos passeport en couleur.
Tout cela représente un cout aux environs de 100€ par chaque enfant pour cette école. Un lourd fardeau pour les parents qui doivent aussi subvenir aux autres besoins du ménage et des autres enfants du foyer familial.

Le deuxième exemple est une école libre subsidiée par l’État, l’école technique du Diocèse Catholique de Kabgayi appelée Father Ramon Kabuga Technical Secondary School (TSS). C’est une école subventionnée par l’État, pour le premier trimestre, chaque élève paie à l’école :
- 134 300 FRW (environ 90€) comprenant le minerval de 92 000 FRW, les uniformes de 35 800 FRW, l’assurance (1 500 FRW/an), une assiette et un gobelet (2 000 FRW), le software pour les bulletins (700 FRW) et les frais de coiffure (800 FRW). Il devra apporter avec lui une salopette bleue ciel, un masque, des ustensiles de dessin, vingt cahiers 96 pages, sept cahiers 200 pages, deux cahiers 200 pages pour évaluation, des écouteurs, une clé USB, un ordinateur laptop (facultatif), un classeur, douze stylos à billes, deux paires de chaussures noires fermées, au moins trois paires de chaussettes blanches, une paire de sandales de douche, une paire de chaussures de sport, un moustiquaire, une serviette de bain, un seau, des savons de lessive et de toilette, trois papiers hygiéniques, un pagne et serviette hygiéniques pour les filles ainsi qu’un porte-manteau.
Tout cela représente un cout d’environ 120€ par chaque enfant pour cette école.
Le dernier exemple est une école privée, nous prenons les trois moins chères dans le Diocèse de Kabgayi. Un nouveau élevé, au premier trimestre doit payer les frais de scolarité qui s’élèvent à 267 000 FRW (environ 178€) pour le Collège Sainte Marie-Reine de Kabgayi, 240 000 FRW (environ 160€) pour le Collège Saint Jean Nyarusange et à 200 000 FRW (environ 134€) pour l’école Secondaire Elena Guerra Cyeza.
Pour les élèves en fin des cycles de 3ème (3ème du collège) et 6ème (Terminale au Lycée), à ces frais s’ajoutent 10 000 FRW de nourriture pendant les examens nationaux ainsi que 10 000 FRW pour la caution et le transport. Le matériel apporté est composé des uniformes (38 000FRW), deux registres, 20 cahiers 200 pages, 10 cahiers 96 pages, 2 cahiers 200 pages pour évaluation, 12 stylos à billes, un crayon, une règle de 30cm, une lame de papier marque AZAR, une boîte de mathématique, une calculatrice, un tableau périodique, deux paires de draps, une couverture, un couvre-lit, un moustiquaire, une paire de chaussures de sport, trois paires de chaussures noires fermées, quatre paires de chaussettes blanches, papiers hygiéniques et des serviette hygiéniques suffisantes pour les filles, un tricot noir type jumper, des sous-vêtements suffisants, une ceinture noire pour les garçons, un pagne pour les filles, une serviette de bain, une montre, une robe de nuit, un seau en fer pour les garçons, un seau en plastique pour les filles, des savons de lessive et de toilette, une raclette, une houe, un lubrifiant, une brosse, un dentifrice type Colgate, un petit sac à dos, un peigne, et une mutuelle de santé.

Tout cela représente un cout d’au moins 300€ par chaque enfant pour l’école la moins chère.
Les enfants dont les parents ne peuvent pas s’acquitter des « Babyeyi » peuvent se retourner vers les nouvelles formes de scolarisation communément appelées Nine-Year-Basic-Education (9YBE) et Twelve-Year-Basic-Education (12YBE), vantées par les occidentaux, redoutées par les parents rwandais. Dans ces écoles les élèves du secondaire sont en demi pensionnant, à savoir que le pensionnant est la norme au Rwanda, et rentrent donc dans leurs familles le soir. Ces écoles sont réservées aux élèves ayant de faibles notes aux examens nationaux. Les élèves y terminent leurs études avec une faible connaissance et deviennent des chômeurs, n’étant pas qualifiées pour le marché du travail. Ces élèves payent entre 20 000 FRW (environ 14€) et 40 000 FRW (environ 28€) par trimestre et sont exposées à la délinquance et à la prostitution.
Alice Mutikeys