Cas de torture au Rwanda, 2ème partie

Dans la première partie, La cours d’appel du tribunal de grande instance de Rusizi venait de confirmer la peine de 3ans de prison pour Jean Bosco Ngarama

Dernières tentatives

Après sa condamnation, Jean Bosco Ngarama  a décidé de saisir la Haute Cour de la République en dernier ressort, ce manœuvre visait à gagner du temps, en effet Il avait conscience que la loi rwandaise de l’autorisait pas à le faire. Toujours à la recherche d’une solution ultime, Jean Bosco Ngarama a écrit un courrier au Président de la République le 30 octobre 2009. Dans le courrier il clamait son innocence et il avait annexé l’ensemble du dossier y compris la lettre de 2003 (Cf la première partie) qui était la source de ses ennuis. Il avait adressé une copie du courrier au Secrétaire Général du FPR, à la Cour Suprême, au ministre de la Justice, à la commission de défense des droits de l’Homme, à la LIPRODHOR (la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’Homme) et à l’ Ombudsman (Institution publique et indépendante dont la mission est d’être le médiateur entre les citoyens et les institutions Publiques et Privées, de prévenir et combattre l’injustice, la corruption et les infractions connexes au sein des institutions publiques et privées). Il a remis le courrier et chaque copie du courrier en main propre contre un accusé de réception.

Audience auprès du FPR

Après la remise du courrier, Jean Bosco Ngarama a passé plusieurs mois sans réponse, il a demandé une audience auprès du FPR (dont il était membre, cf. la première partie). Le FPR l’ a reçu en février 2010, pour rappel, le FPR avait pu agir en sa faveur la première fois quand il avait eu les problèmes. Lors de l’audience, il a exposé son cas pendant des longues minutes, il a fait remarquer qu’il ira aller en prison alors qu’il était innocent, il a demandé au FPR d’agir en sa faveur encore une fois. Un de ses interlocuteurs, dont il tait le nom, lui a répondu « Jean Bosco Ngarama, pourquoi ne prendrais-tu pas sur toi, 3 ans ce n’est pas long ». Cette réponse a sonné comme un coup de massue pour lui. Il a répondu que c’était désolant qu’il ait été allé les voir avec un problème d’injustice et que la réponse donnée n’allait pas dans le sens de réparer une injustice. Le FPR lui a répondu de rentrer chez lui et qu’ils allaient revenir vers lui.

Le début de la descente aux enfers

Le 16 juin 2010 à 5h, des militaires ont encerclé le domicile de Jean Bosco Ngarama. Ils lui ont dit qu’il était recherché, il a essayé de les interroger pour savoir s’ils avait un mandat de perquisition ou d’arrêt. A cet instant il a réalisé que la situation pourrait être sérieuse car quelques jours auparavant il avait rédigé un rapport sur des cas d’arrestations et de détentions des personnes dans des lieux inconnus à Bugarama. Il a appellé le Général en charge de la région de l’Ouest dont il avait les coordonnées. Ce dernier lui a promis de suivre l’affaire. Il a été amené chez le commandant de police de Bugarama. Il y est resté jusqu’à 7h du matin, heure à laquelle le commandant lui ademandé s’il avait été militaire, ce n’était pas le cas. Alors, Il lui a dit de monter dans une voiture de type fourgonnette, il était couché à même le sol de la voiture au milieu et était recouvert des tentes : « mettez-le en bas et cachez le pour que les gens ne le voient pas ce qui pourrait créer des révoltes». Jean Bosco Ngarama a été amené dans le camp militaire de Kamembe où il a été menotté et mis en cachot. Jean Bosco Ngarama y est passé la nuit isolé de tout contact. Seul un capitaine était venu le voir pour l’informer qu’il était recherché à Kigali. Les seules questions que l’on lui a posé étaient relatives aux personnes qui avaient été arrêtées. Les connaissait-il ? C’était le cas car elles fréquentaient le même milieu social que lui. Avec un autre prisonnier, Ils ont été menottés et transportés à Kigali le 17 juin 2010, on les a déposé dans l’arrière-cour du Ministère de la Défense (MINADEF).

Complément au témoignage : selon Human Right Watch, rapport de 2017, le MINADEF abrite un centre de détention militaire non officiel, 11 anciens détenus ont témoigné des tortures qu’ils y avaient subies.

« Nous t’obligerons à avouer » HRW

Ils sont arrivés au ministère vers la fin de la journée, aux environs de 18h-19h, ils leur ont fait monté au quatrième étage, ils ont croisé des militaires aux casquettes rouges dans un couloir. Ils ont été amenés dans un bureau pour être interrogés. C’est le Lieutenant-colonel Faustin Tinka qui a mené l’interrogatoire, Jean Bosco Ngarama connaissait Faustin Tinka car il avait vécu à Bugarama et avait été impliqué dans l’affaire de la lettre pour le dédouaner. Il a demandé à Jean Bosco Ngarama s’il connaissait les gens qui avaient fait exposer des grenades, ce dernier ne les connaissait pas. Il a enchaîné en lui demandant s’il était au courant de cette affaire des grenades, Jean Bosco Ngarama était au courant de cette affaire mais sans plus car il l’avait suivie sur la radio et aux travers des médias. A la fin de cette interrogatoire, il a été amené dehors où il a fait face à d’autres personnes arrêtées pour le reconnaitre. Ils ont tous dit ne pas le connaitre.

Complément au témoignage :

    • Selon HRW : sept anciens détenus ont mentionné en 2010 la participation du Lieutenant-colonel Faustin Tinka lors d’interrogatoires au MINADEF et à Kami. Plusieurs anciens détenus ont indiqué à Human Rights Watch que Tinka avait travaillé pour les services de renseignement militaire.
    • Un autre témoignage extrait de ce rapport :

L’un d’entre eux, un homme arrêté en juin 2010, a déclaré à Human Rights Watch :

L’un d’entre eux, un homme arrêté en juin 2010, a déclaré à Human Rights Watch :

« Le Lieutenant-colonel Faustin Tinka m’a demandé : « Il y a eu des explosions à Kigali. Sais-tu qui a lancé les grenades ? » J’ai répondu non. Il a dit : « Si tu ne veux pas nous l’avouer sans détours, tu l’avoueras par la force. » »

« Le Lieutenant-colonel Faustin Tinka m’a demandé : « Il y a eu des explosions à Kigali. Sais-tu qui a lancé les grenades ? » J’ai répondu non. Il a dit : « Si tu ne veux pas nous l’avouer sans détours, tu l’avoueras par la force. » »

« Passages à tabac et aveux forcés » HRW

Jean Bosco Ngarama a été amené dans une autre cellule, où il était reçu par 3 personnes : le capitaine Yahurunga Innocent (un homme extrêmement méchant selon Jean Bosco Ngarama), le major Prosper et le capitaine Murenzi. Jean Bosco Ngarama a été battu avec des câbles électriques ou des bâtons au point de perdre connaissance. On lui a donné une lettre, disant que c’était lui qui avait lancé des grenades à Kigali, pour la signer. Il ne s’est pas plié à leur demande ne sachant pas le contenu de la lettre. Après Ils lui ont donné des feuilles et un stylo pour qu’il l’écrive, à ce moment se sentant affaibli il a commencé à écrire tout en leur indiquant qu’à la fin de la lettre il allait mentionner que c’était un mensonge. A cet instant le capitaine Yahurunga a saisi un fer électrique et le lui a plaqué entre les épaules, Jean Bosco Ngarama s’ est évanoui. A sa reprise de conscience, il était affaibli considérablement, affamé ce qui l’amené à se décider à signer la lettre afin survivre ne serait-ce qu’une nuit. Son plan étant à ce moment de contester plus tard la lettre au tribunal. Par un coup de chance, des cris se sont élevés et il a entendu la voix du lieutenant-colonel Tinka, il l’a appellé pour qu’il l’aide, ce dernier s’est entretenu avec les trois militaires et les a envoyé effectuer d’autres tâches. Ils sont revenus plus tard et ont frappé encore Jean Bosco Ngarama avec des câbles électriques. Sous les coups il a crié au point de ne plus ressentir la douleur et la séance a duré à peu près 3h. La chance étant avec Jean Bosco Ngarama ce jour-là, à chaque fois qu’il commençait à écrire la lettre, ses bourreaux étaient appelés ailleurs. Ils ont fini par le traiter de « débile, démuni d’intelligence » et l’ont envoyé dans une autre cellule. Dans la nouvelle cellule il était menotté et a entendu des cris venir des autres cellules. Il a alors envisagé le suicide en se jetant par la fenêtre (ils étaient au 4eme étage) mais l’inaccessibilité des fenêtres lui en a empêché. D’autres personnes ont pris le relais pour le frapper, chacun y allant de son coup et aveuglement sur l’ensemble de son corps. Par la suite d’autres prisonniers étaient amenés et ils ont été battus jusqu’à minuit.

Selon le même témoignage extrait du rapport du HRW

« Ils m’ont [ensuite] emmené dans une pièce à l’écart [et] m’ont frappé avec des barres de fer, giflé et donné des coups de poing. Je saignais de la bouche. L’un d’eux m’a mis un emballage plastique—comme ceux utilisés pour emballer les packs de bouteilles d’eau—dans la bouche et m’a donné des coups de pied dans la bouche. Je saignais. Le capitaine Murenzi me frappait ».

« Ils m’ont [ensuite] emmené dans une pièce à l’écart [et] m’ont frappé avec des barres de fer, giflé et donné des coups de poing. Je saignais de la bouche. L’un d’eux m’a mis un emballage plastique—comme ceux utilisés pour emballer les packs de bouteilles d’eau—dans la bouche et m’a donné des coups de pied dans la bouche. Je saignais. Le capitaine Murenzi me frappait ».

A la fin, ils ont été embarqués dans un pick-up, allongés dans le coffre toujours sur le sol de la voiture, ils ont été transportés en étant menottés par groupe de deux et les yeux bandés pour éviter qu’ils puissent repérer le chemin. C’était une route rude et ils ont fini par arriver à un endroit qui semblait être situé près d’un point d’eau. Ils ont été déshabillés entièrement, on leur a fait porté des tenues militaires, on leur a menotté et ils ont été jetés dans une cellule vers 2h du matin. Au matin, il a demandé aux autres prisonniers, des militaires, où ils étaient, ils lui ont répondu à Kami.
Alice Mutikeys

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