Une attaque politique en plein exil
Depuis plusieurs semaines, une polémique enfle autour du ministre rwandais de l’Unité nationale et de la Citoyenneté, Bizimana Jean-Damascène. Sur les réseaux sociaux, ce haut responsable du régime de Kigali s’en est pris directement à Patrick Rugaba, jeune activiste des droits humains vivant en France comme réfugié politique.
Il faut le dire sans détour : le ministre rwandais falsifie la réalité. Ses attaques contre Patrick Rugaba ne reposent sur aucun fait, mais sur une stratégie honteuse et bien connue du régime de Kigali : instrumentaliser la mémoire du génocide pour salir, intimider et réduire au silence les voix critiques, y compris lorsque les personnes attaquées sont des survivants du génocide de 1994, comme Patrick Rugaba et son père.

Ce harcèlement ciblé dépasse les frontières du Rwanda : il interpelle directement la France, qui a le devoir de protéger sur son sol un réfugié politique menacé par la propagande d’État. Bizimana accuse Rugaba d’être le fils d’un « génocidaire », un « falsificateur de l’histoire » et un « ennemi de la nation ». Derrière ces accusations spectaculaires, il n’y a qu’un tissu de mensonges et une stratégie délibérée pour briser une voix critique.
Le début de l’affaire
L’affaire éclate à la suite d’une publication de Patrick Rugaba sur X (anciennement Twitter), où il exprimait son inquiétude face à la militarisation croissante de la jeunesse civile au Rwanda. Bizimana choisit de répondre non par des arguments, mais par des attaques personnelles.
Dans une lettre ouverte, Rugaba dénonce ce procédé :
« Vous vous êtes permis d’affirmer que mon père — que vous ne connaissez même pas — a précipité le pays dans le chaos, et que vous êtes, aujourd’hui, en train de le sauver des génocidaires comme lui. […] Moi-même, qui vous écris aujourd’hui, j’ai survécu à ces attaques en 1992 alors que je n’avais même pas deux ans. Et aujourd’hui, vous osez me qualifier d’Interahamwe ?! »
Ces mots illustrent clairement la mécanique employée : stigmatiser la jeunesse critique en exil en la réduisant à un héritage criminel supposé, en effaçant les parcours personnels et en inversant les rôles entre bourreaux et victimes.
Sans aucun doute, le ministre Bizimana falsifie l’histoire. Ses accusations contre Patrick Rugaba, militant des droits humains réfugié en France, ne sont pas seulement fausses : elles reflètent une stratégie politique bien huilée du régime du Front Patriotique Rwandais (FPR).
Accuser Rugaba d’être « l’héritier d’un génocidaire », affirmer que son père aurait « précipité le Rwanda dans le chaos », le qualifier d’« Interahamwe » ou de « falsificateur de l’histoire » : tout cela n’est qu’une campagne de diffamation orchestrée au plus haut niveau. Le but est clair : briser, salir et intimider un jeune activiste qui, depuis son exil, ose dénoncer les dérives autoritaires et la mauvaise gouvernance du régime de Paul Kagame.
Le témoignage de Sibomana Metusela : la vérité contre le mensonge
Pour comprendre la gravité de ces accusations, il faut revenir sur l’histoire de Patrick et de son père, Sibomana Metusela. Loin d’être un « génocidaire », ce dernier a laissé un témoignage détaillé dans le livre Survivre par la parole, relatant persécutions, emprisonnements arbitraires, tortures et humiliations, sous Habyarimana comme sous le FPR.
Il témoigne notamment de son arrestation en 1992 :
« J’ai été mis en prison […] parce que j’ai participé à la prévention des émeutes déclenchées par les Interahamwe dans notre village et ses environs. »
Il raconte également les atrocités commises après la prise de pouvoir du FPR :
« À Nyabidahe, ils nous ont mis dans des fosses et nous ont battus. […] C’était une boucherie humaine plutôt qu’une prison. »
Et plus loin :
« Après ces injustices en prison, les tribunaux gacaca ont commencé et ils m’ont ramené dans ma région de Mpembe. Tous les gens ont dit que j’étais complètement innocent, au grand dam du FPR qui a refusé de me laisser rentrer chez moi. »
Ces lignes suffisent à balayer le mensonge de Bizimana. Loin d’être un organisateur de massacres, Sibomana Metusela est un survivant, un témoin et une victime à double titre : d’abord des Interahamwe, ensuite du système répressif du FPR.
Patrick Rugaba possède les compte-rendus officiels des tribunaux gacaca qui innocentent son père. Pourtant, Bizimana Damascène utilise les moyens humains et financiers de son ministère pour harceler Patrick, salir sa réputation et manipuler la mémoire du génocide. Ces attaques ne sont pas de simples paroles : elles relèvent d’une stratégie politique délibérée visant à intimider la diaspora et à réécrire l’histoire à des fins partisanes.
Une stratégie d’intimidation bien rodée
L’attaque contre Patrick Rugaba ne doit pas être vue comme un incident isolé. Elle s’inscrit dans une stratégie globale du régime rwandais pour contrôler la mémoire, réduire au silence l’opposition et intimider la diaspora. Rugaba le rappelle dans sa lettre ouverte :
« Le régime auquel vous appartenez semble vouloir une jeunesse docile, soumise, qui suit sans questionner — alors que vous savez très bien les tragédies qu’un tel endoctrinement aveugle a déjà causées au Rwanda. »

Cette stratégie s’appuie sur une mécanique implacable : toute voix critique est assimilée à une menace pour l’unité nationale, et tout réfugié politique devient la cible d’attaques personnelles, souvent par le biais d’accusations liées au génocide. Il s’agit de transformer la mémoire collective en arme politique, de faire taire en discréditant.
Une responsabilité internationale
Face à cet acharnement, une question s’impose : que va faire la France, pays d’accueil de Patrick Rugaba ? Le statut de réfugié politique n’est pas un simple document administratif. Il engage l’État qui l’accorde à protéger la personne contre toute forme de persécution, y compris le harcèlement transnational orchestré par des régimes autoritaires.
Bizimana Damascène n’agit pas en simple individu : il parle au nom du gouvernement rwandais. Ses propos constituent une menace directe pour la sécurité et la dignité d’un réfugié sur le sol français.
L’histoire jugera
Les faits sont là : Bizimana Damascène falsifie l’histoire, salit la mémoire des victimes et instrumentalise le génocide pour museler l’opposition. À travers ses attaques, il cherche à intimider une jeunesse qui refuse le silence et qui ose, depuis l’exil, dénoncer les dérives d’un pouvoir autoritaire.
Mais la vérité existe, elle est écrite, documentée. Elle se trouve dans le témoignage de Sibomana Metusela, dans l’engagement courageux de Patrick Rugaba et dans la mémoire de ceux qui ont souffert.
Comme l’écrit Patrick Rugaba :
« Il est juridiquement incontestable qu’on ne peut faire porter à une personne un crime qu’elle n’a pas commis. »
Cette évidence doit guider la justice, l’opinion publique et la communauté internationale. Le Rwanda ne pourra jamais construire une paix véritable en s’appuyant sur le mensonge et la diffamation. Quant à la France, elle a aujourd’hui le devoir moral et juridique de protéger Patrick Rugaba.
Protéger Rugaba, c’est protéger le droit de chaque exilé à la vérité, à la dignité et à la liberté de parole.
Alice Mutikeys.