31 ans après : Pour la reconnaissance de toutes les souffrances

08 avril 1994-08 avril 2025, trente et une années marquées par des hauts et des bas, mais aussi par une résilience et une paix retrouvée. C’est un moment de joie, certes, mais aussi de mémoire. Je n’oublie pas ceux pour qui cette période reste un calvaire, un fardeau insupportable. Et c’est avec cette pensée que je reprends la plume, une fois de plus, pour plaider pour la mémoire de toutes les victimes du Rwanda, sans distinction, car la douleur humaine est universelle.

Un devoir de mémoire

Il est impératif que la commémoration du génocide de 1994 rende hommage à toutes les victimes, qu’elles soient Tutsis, Hutus modérés ou autres. La souffrance humaine ne se mesure pas à l’aune de l’appartenance ethnique ou politique. Elle est universelle. Chaque vie perdue, chaque famille décimée, mérite d’être honorée. Kizito Mihigo l’a chanté dans son requiem réconciliateur, « Igisobanuro cy’urupfu », sorti en 2014. Une œuvre poignante qu’il a payée de sa vie : emprisonné, puis assassiné par le FPR en 2020.

Depuis la fin du génocide, les survivants ont porté cette mémoire dans des conditions difficiles, souvent dans le silence et la répression. À travers mes précédentes publications, j’ai toujours plaidé pour une reconnaissance de la douleur collective des Rwandais. Aujourd’hui, je réitère cet appel. Il est essentiel de célébrer ceux qui ont survécu, ceux qui ont traversé cette épreuve et qui, malgré tout, portent encore le fardeau de cette histoire. Il est impératif que la société rwandaise, ainsi que la communauté internationale, reconnaissent toutes les souffrances et rendent hommage à toutes les victimes, sans exception.

Rappel du contexte du Rwanda

Le Rwanda, en avril 1994, a été le théâtre d’un des génocides les plus brutaux de l’histoire moderne. Mais pour saisir pleinement l’ampleur de cette tragédie, il est nécessaire de revenir à 1990, lorsque la guerre civile a éclaté. Ce conflit opposait le gouvernement de Juvénal Habyarimana au Front Patriotique Rwandais (FPR), un groupe rebelle principalement composé de réfugiés tutsis venus d’Ouganda. La guerre a déstabilisé le pays, exacerbant les violences ethniques qui ont débouché sur le génocide. En cent jours, un million de personnes, principalement des Tutsis et des Hutus modérés, ont été tuées de manière systématique. Le génocide rwandais demeure l’une des atrocités les plus épouvantables du 20e siècle. Les cicatrices laissées sont encore visibles dans la société rwandaise.

Aujourd’hui, bien que le génocide de 1994 soit commémoré chaque année, il est essentiel de rappeler qu’il ne représente qu’une partie de l’histoire tragique du Rwanda. Les violences, massacres et répressions ont perduré après la fin du génocide, notamment sous le régime du FPR, qui a pris le pouvoir en juillet 1994. En se présentant comme le « sauveur » des Tutsis, le FPR a perpétré des exactions et continue d’imposer une répression politique sévère contre ses opposants.

Héritage de violence continue

Aujourd’hui, l’instrumentalisation du génocide à des fins politiques et la répression systématique de toute forme de dissidence demeurent les caractéristiques du régime du FPR. Cette dynamique empêche la véritable réconciliation et justice pour toutes les victimes, qu’elles aient été tuées avant ou après 1994. Ne pas reconnaître la souffrance de toutes les victimes, quel que soit leur groupe ethnique ou politique, constitue un obstacle majeur à la paix durable au Rwanda.

Lorsque l’on évoque ces exactions, les partisans du FPR crient à la « négation du génocide ». Pourtant, les crimes commis par le FPR sont bel et bien documentés. Sur le site RwandanLivesMatter, qui ne répertorie qu’une infime partie des cas, les chiffres suivants font froid dans le dos :

• Meurtres ou assassinats : 349
• Tentatives de meurtre, avertissements, ou enlèvements : 77
• Massacre du 22 avril 1995 à Kibeho : au moins 4000 personnes tuées par le FPR/RPA, selon les soldats australiens de la MINUAR
• Emprisonnement pour convictions politiques et/ou actions : 24
• Emprisonnements pour avoir exprimé des vues non tolérées par le FPR : 22

La commémoration ne doit pas ignorer ces exactions. Quand nous disons « Never again », nous devons le dire avec sincérité, sans occulter aucune vérité.

Justice et réconciliation

La justice pour toutes les victimes du génocide et des massacres postérieurs doit être au centre de toute réflexion sur l’avenir du Rwanda. Il est impératif de ne laisser aucun crime impuni, qu’il ait été commis avant, pendant ou après 1994. La justice n’est pas un luxe, elle est essentielle pour permettre au pays de se reconstruire sur des bases solides, humaines et morales.

Quant à la réconciliation, c’est un processus long, complexe et difficile. Elle ne peut pas être imposée ni dictée. Elle doit se baser sur la vérité, sur un dialogue sincère et un respect mutuel des souffrances de chacun. Il est crucial que cette réconciliation ne soit pas manipulée à des fins politiques, mais qu’elle soit l’expression d’un véritable respect pour toutes les victimes et leurs familles.

La communauté internationale, ainsi que les citoyens rwandais, ont un rôle fondamental à jouer dans ce processus. Les ressources doivent être investies pour construire une société inclusive, où les droits de tous les individus sont protégés et respectés.

Une mémoire juste pour tous

Tous les Rwandais, quelle que soit leur origine ou leur appartenance politique, méritent d’être honorés. La mémoire du génocide et des violences postérieures ne doit pas être utilisée pour diviser, mais pour construire un Rwanda réconcilié, uni et pacifique.

Ce n’est pas la première, et ce ne sera certainement pas la dernière fois que j’écris sur la nécessité de commémorer toutes les victimes du Rwanda. Je continuerai à plaider pour une mémoire juste, pour une réconciliation authentique. La justice doit être rendue pour les victimes de tous les groupes. Ce n’est qu’à travers une reconnaissance collective de leurs souffrances que le Rwanda pourra réellement tourner la page de son passé tragique.

Alice Mutikeys

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